Le soir, dès qu’on avait fermé, qu’on avait regagné
l’appartement au-dessus, je me mettais aux fourneaux. Le plus
souvent, elle me regardait faire.
– Que
j’apprenne un peu…
On
passait à table.
– On
met pas la télé, hein ! C’est nul. Et puis c’est bien mieux
de discuter.
Et
elle parlait. Beaucoup.
De
son avenir.
– C’est
pas que je me plaise pas au magasin avec vous, hein, allez pas croire
ça ! Mais j’ai pas l’intention non plus de faire vendeuse
toute ma vie. Sauf que je sais rien faire d’autre et que je suis
bien trop flemmarde pour me remettre à étudier. Alors, il y a pas
trop d’issue. Du moins pour le moment. Je verrai bien n’importe
comment. C’est pas la peine que je me prenne la tête à l’avance.
De
son frère.
– Il
m’inquiète, lui ! Il fait vraiment n’importe quoi ! Et puis
alors vous verriez ces fréquentations qu’il a !
Des
mecs.
– Autant
il y en a tu t’éclates un max avec, autant il y en a d’autres,
ils s’y prennent vraiment comme des manches. Seulement ça, tu peux
pas savoir avant d’y avoir mis le nez. Tiens, rien que pour le
clito… T’en as la moitié, si c’est pas plus, ils ont aucune
idée de comment ça fonctionne. T’en as même qui savent seulement
pas ce que c’est ni où ça se trouve. Non, mais vous vous rendez
compte ? On leur apprend quoi, alors, à l’école ? C’est
comme le cunni. J’adore ça, moi, le cunni ! C’est trop génial.
Sauf que pour trouver des mecs qui soient vraiment fans… Ça les
branche pas, la plupart, quand ça les dégoûte pas carrément.
C’est pour ça ! Si jamais un jour j’en trouve un vraiment
opérationnel de ce côté-là, je peux vous dire que je vais me le
mettre de côté. Et que je vais pas le lâcher…
On
ne voyait pas le temps passer. Ni l’un ni l’autre.
– Onze
heures ! Déjà ! Va falloir aller dormir. Sinon demain matin…
Mais
elle n’arrivait pas à s’y décider. Elle prolongeait encore et
encore.
– On
s’entend pas si mal, hein, finalement, tous les deux…
– Il
y a pas de raison.
– Quand
même… Je me demandais. Je me disais que, si ça tombe, j’étais
en train de faire une énorme connerie. Parce qu’au magasin, ça se
passait bien, oui, bon, d’accord, mais le boulot, c’est le
boulot. Et peut-être qu’en dehors vous étiez chiant que le
diable, que j’allais m’emmerder comme c’est pas possible.
Surtout qu’on n’a pas le même âge. Et puis non, finalement,
non, hein ! Au contraire. On peut parler au moins avec vous. De
tout. Même de ce qu’on peut pas d’habitude. Parce que vous
écoutez. Vous écoutez vraiment. Et vous jugez pas.
Effectivement,
j’aimais l’écouter. J’aimais la regarder s’animer. Se
passionner. Me confier, avec de moins en moins de pudeur, des choses
de plus en plus intimes. J’aimais sa présence. Sa façon d’être
dans l’instant. De considérer avec le plus parfait naturel tout ce
qui relevait du sexe et du plaisir. J’aimais l’entendre clamer sa
jouissance, dans la chambre à côté, sans la moindre retenue, quand
elle avait, comme elle disait, « levé un mec ». Mais mon
bonheur n’était pas parfait. Parce qu’il y avait quelque chose
que j’attendais avec infiniment d’impatience, une impatience de
plus en plus douloureuse, et qui ne se produisait pas. Elle avait
pourtant été on ne peut plus claire là-dessus : si elle
acceptait de venir se réfugier chez moi, c’était à la condition
qu’elle pourrait, entre autres choses, y déambuler dans le plus
simple appareil. Elle était certes, la plupart du temps, très peu
vêtue : longs tee-shirts qu’elle enfilait le soir, dès qu’on
était remontés, et sous lesquels les seins se mouvaient à l’aise.
Il n’était pas rare non plus que, le matin, elle vienne prendre
son petit déjeuner en simples sous-vêtements. Dont elle possédait
une impressionnante collection. De toutes formes, de toutes couleurs
et de toutes textures. Certains laissaient deviner un peu, d’autres
un peu plus encore, tandis qu’elle errait de la cafetière au
grille-pain et du placard au réfrigérateur. Le spectacle, bien
évidemment, me ravissait, mais, dans le même temps, me laissait
profondément insatisfait. C’était nue, vraiment nue, totalement
nue, intégralement nue que je voulais la voir. Que je tenais
obstinément à la voir. Ça tournait à l’obsession. Et ça
n’arrivait pas. Mais pourquoi ? Pourquoi ? Alors qu’elle
avait semblé tant tenir à pouvoir user de cette liberté-là ? Je
cherchais désespérément une explication. Que je ne trouvais pas.
Il ne me restait qu’à attendre. Et à espérer que ce ne soit pas
en vain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire