mardi 24 septembre 2019

Clorinde, ma colocataire (48)


Je me suis réveillé en sursaut. J’ai tâté l’absence à mes côtés et je me suis précipité à la cuisine où ne se trouvait que Clorinde.
– Elle est partie Alexandra ?
Elle a tranquillement vidé sa tasse.
– Il est dix heures, je vous ferai remarquer. Et elle a un métier, elle !
– Tu l’as vue ? Elle t’a dit quelque chose ?
– Oh, plein de choses ! Fort intéressantes d’ailleurs ! Non, parce que, si je veux me faire une idée de la façon dont vous baisez, vu que je peux pas juger moi-même sur pièces, le mieux, c’est encore que je me renseigne. Et vous vous en êtes pas si mal sorti que ça, à ce qu’il paraît. Mais enfin, faut bien reconnaître aussi que vous avez bénéficié d’un préjugé favorable au départ. Très favorable. Elle était de parti pris, Alexandra. Elle est enchantée, ce qu’il y a de sûr. Et vous pouvez remettre le couvert quand vous voulez. La prochaine fois, si tout se passe bien, vous aurez même droit à une petite pipe. Elle a pas osé hier. Parce qu’au début, comme ça, elle avait peur de ce que vous pourriez penser d’elle. Mais elle en crevait d’envie. N’empêche… Qui aurait cru, hein ? Qui aurait cru, le jour où on s’est mis à la suivre parce que vous aviez flashé sur son cul, qu’elle se retrouverait dans votre lit ? C’était pas gagné. Après, reste à savoir comment ça va tourner, tout ça.
– Comment ça va tourner ?
– Ben oui. Oui. Parce que vous êtes libre. Et elle aussi. Alors il y a toutes les chances qu’il lui pousse des idées derrière la tête. Si c’est pas déjà fait…
– C’est pas l’impression qu’elle m’a donnée.
– Oui, non, mais ça, évidemment ! Évidemment ! Une nana, aujourd’hui, elle se pointe pas comme ça, tranquille, la fleur au fusil : « Coucou, c’est moi ! Je viens te mettre le grappin dessus. » Non. Elle se la joue fine. Elle te fait croire ce que t’as envie de croire. Que c’est juste pour prendre du bon temps. Qu’elle a pas l’intention de s’investir le moins du monde. Et puis, petit à petit, elle grignote. Elle gagne du terrain. Elle t’enrobe. Et, au final, tu te retrouves installé avec sans trop savoir au juste comment ça s’est passé. T’es piégé. Et alors après, pour réussir à te dégager… Surtout vous ! Je vous vois mal dans le rôle.
– Pourquoi tu me dis tout ça ? Tu sais quelque chose ? Elle t’a fait ses confidences ?
– Pas vraiment, non ! Mais je sais lire entre les lignes. Après, c’est vous que ça regarde, hein ! Vous faites bien ce que vous voulez… Mais je vous aurai prévenu. Vous courez des risques. Surtout que…
– Que quoi ?
– Qu’elle commence à en avoir soupé de son magnétiseur. Et qu’elle se demande ce qu’elle fout encore avec. Ce que je peux comprendre. Parce que des nuits aussi nulles que celle que je viens de passer, j’en ai rarement connu. Non, mais attendez ! Le mec qui débande quand vous l’avez dedans, c’est quand même pas banal. Il a passé son temps à ça. Bander. Débander. Rebander. Redébander. Et à s’excuser. Qu’il était désolé. Que j’étais une fille hyper attirante pourtant. Qu’il avait une envie folle de moi. Alors il comprenait vraiment pas ce qu’il se passait. Peut-être les médicaments. On lui avait changé son traitement. Ce dont j’avais strictement rien à foutre. Que ce soit ça ou autre chose, moi, un mec qu’arrive pas à me satisfaire, j’ai pas l’intention de perdre mon temps avec.
– Mais Alexandra…
– On l’a entendue jouir, oui, je sais… Mais apparemment c’est plus vraiment le cas. Depuis un bon petit moment déjà. Bon, mais et vous ?
– Quoi, moi ?
– Vous êtes monté deux fois à l’assaut cette nuit, à ce qu’elle m’a dit. Deux fois et demi même. Vous croyez que vous allez pouvoir assurer avec la Mégane, là ? Surtout que, si elle a pas vu le loup depuis des mois, comme elle le prétend, elle va être sacrément demandeuse.
– On verra. Je te dirai.
– Oh, oui, hein ! Avec tous les détails. Je veux tout savoir.

mardi 17 septembre 2019

Clorinde, ma colocataire (47)


Elle a jeté son sac sur la petite table de l’entrée.
– Changement de programme !
– Hein ! Elle vient plus, Alexandra ?
– Oh, mais paniquez pas comme ça ! Si ! Enfin non ! Non, ce qu’il y a, c’est qu’on a encore discuté toutes les deux et que ce qu’elle aimerait, c’est que ce soit en boîte qu’ils se passent les travaux d’approche. C’est son truc à elle, ça ! Parce que son premier mec, celui qui l’a dépucelée, c’est là que… Enfin bref, je vous passe les détails. Toujours est-il qu’on ira en boîte. Et que je me tirerai vite fait. Comme convenu. D’autant que j’ai rendez-vous avec son magnétiseur d’amant, là.
– Ah, oui ? Ça y est ! Et elle est au courant ?
– Ça va pas, non ? Vous êtes pas bien ? Il y a des choses qui ne se font pas. Parce qu’elle a beau dire qu’elle en a rien à foutre, que c’est juste pour le cul avec lui, dans ce genre de situation, t’as tout intérêt à marcher sur des œufs. Parce qu’il y a des nanas, c’est quand on veut leur piquer le mec auquel elles tiennent soi-disant pas qu’elles en tombent amoureuses. Et ça vous retombe sur le coin de la figure. Vous devriez savoir ça depuis le temps.
– Et alors Mégane ce soir, du coup, elle va se retrouver toute seule.
– Pas grave. Elle passera la soirée à penser à vous. Ce n’en sera que meilleur demain. Pour elle comme pour vous.

C’est d’abord Clorinde que j’ai invitée à danser.
– Vous voulez faire diversion, oui, je comprends bien, mais ça vous sert strictement à rien. Parce que vous jouez sur du velours, je vous dis ! Elle va vous tomber toute rôtie dans le bec. Alors allez-y ! Foncez !
– Oui, mais…
– Mais quoi ?
– J’ai aussi envie de danser avec toi.
– C’est gentil, mais on en aura d’autres, des occasions. Plein d’autres. Parce que je sais pas si vous avez remarqué, mais on vit ensemble au quotidien, hein ! Je file n’importe comment. Henri m’attend.

Et j’ai fait danser Alexandra. Qui a suivi des yeux Clorinde en train de prendre la poudre d’escampette.
– Elle va où ?
– Aucune idée. Elle me dit pas tout, hein ! Elle vit sa vie de son côté. Et moi, la mienne du mien. Mais, la connaissant, il y aurait quelque séduisant jeune homme là-dessous… À l’attendre quelque part…
On s’est souri.
Elle s’est abandonnée plus librement contre moi. Mes mains sont descendues, sont venues se loger au creux de ses reins. Juste au-dessus des fesses. Elle a posé sa tête contre ma poitrine. Et on s’est tus.
Mon souffle dans ses cheveux. Elle a eu un imperceptible frémissement. Je les ai effleurés de mes lèvres. Sa poitrine s’est soulevée plus vite. En bas je me suis dressé vers elle, pressé contre elle. Elle n’a pas tenté de se dérober. Elle a levé vers moi des yeux pleins de désir. Je me suis penché. Et nos lèvres se sont jointes.
Un quart d’heure plus tard, on était chez moi.

mardi 10 septembre 2019

Clorinde, ma colocataire (46)


Mégane n’était pas sur le terrain. Elle s’était réfugiée à l’intérieur. Et elle pleurait à chaudes larmes.
– Ben, qu’est-ce qui vous arrive ? C’est quoi, ce gros chagrin ?
– Rien. C’est rien.
– Mais si ! Dites !
– C’est que…
Et ses larmes ont redoublé. Se sont transformées en sanglots.
– Allons ! Allons !
Je l’ai prise dans mes bras. Elle s’est abandonnée contre moi. Je lui ai doucement caressé la joue. La tempe. La nuque.
Elle s’est calmée, a relevé la tête, m’a souri à travers ses larmes.
– Venez vous asseoir. Venez !
Sur le banc à côté des casiers. Je lui ai pris la main, ai entrecroisé mes doigts avec les siens. Elle m’a encore souri.
– C’est votre mari, hein !
Elle a fait signe que oui. Oui.
– Il a été odieux. Plus bas que terre il m’a mise. Que je suis invivable. Que personne pourrait me supporter. Personne. Et qu’il se demande ce qu’il fout encore avec moi.
Elle s’est tue. J’ai posé sa main sur ma cuisse. Elle l’y a laissée, a levé sur moi un regard bouleversé.
– Vous me trouvez moche, vous ?
– Jamais de la vie ! Vous êtes mignonne comme tout.
– Vous dites ça pour me faire plaisir.
– Je vous assure que non.
– C’est gentil. Et ça fait du bien. Parce que c’est pas facile à vivre, vous savez, quand votre mari vous trouve tous les défauts du monde.
– Oui, mais enfin, il a pas toujours dit ça…

Clorinde s’est étirée.
– Oui. Bon, bref. Vous avez fait la causette. Un bon bout de temps. Elle, à se lamenter. Et vous, à la consoler. Et puis après, vous l’avez embrassée. Non ?
– Un peu.
– Tu parles ! Je suis bien tranquille que vous vous êtes roulé pelle sur pelle un sacré moment, oui ! Et que vous, vous, en avez profité pour laisser traîner vos paluches ici et là. C’est pas vrai peut-être ? Bon, mais alors finalement, vous l’avez décroché le jackpot ou pas ?
– Sur le banc, avec le risque que quelqu’un déboule à tout moment, les conditions n’étaient pas vraiment idéales.
– Et donc, la partie de jambes en l’air est reportée à une date ultérieure. C’est pour bientôt ?
– On doit déjeuner, demain midi, dans une petite auberge de campagne, à l’écart de tout.
– Avec des chambres au-dessus, j’imagine. Je suis pas sûre que ce soit une bonne idée.
– Ah, non ? Pourquoi ?
– Parce que vous n’avez plus vingt ans. Et qu’une rude soirée vous attend. J’ai invité Alexandra.
– Oui, mais Alexandra…
– N’attend que ça. Vous entendriez comment elle parle de vous. « J’ai jamais eu autant envie avec un type. Jamais. Rien qu’à le voir, rien qu’à penser à lui, tu peux pas savoir ce que ça me fait. Non, mais comment il est séduisant, c’est de la folie. Et patati et patala. » Vous allez quand même pas la laisser dans cet état-là ! Ce serait inhumain. Et puis, de toute façon, vous aurez pas le choix.
– Comment ça ?
– Je recevrai un coup de téléphone urgent. Et je serai obligée de vous laisser tous les deux.
– T’as calculé ça avec elle, je suis sûr.
– Ben, évidemment !
– Tu es démoniaque.
– Comme si vous le saviez pas déjà !

mardi 3 septembre 2019

Clorinde, ma colocataire (45)


Elle a voulu qu’on aille passer la nuit « chez elle ».
– Parce que le pauvre Vincent, à côté, si sa douche est toujours pas réparée, il doit commencer à puer.
Elle s’est déshabillée, allongée toute nue sur le lit. Sans l’ouvrir.
– Non, et puis c’est bien beau Alexandra, Mégane, le magnétiseur, tout ça, mais il faut aussi qu’on soit dans notre truc à nous. Parce que c’est ça le plus important, non ?
J’en étais bien d’accord. Et je suis venue m’étendre auprès d’elle.
Elle m’a posé la main sur la queue.
– Même qu’on couche pas, j’ai des droits dessus. Bien plus que n’importe qui d’autre.
Elle me l’a lissée. Du bout du doigt. L’a fait grimper. Contemplée. A déposé un petit baiser au bout.
– On fait quoi ? Qu’est-ce vous avez envie ?
Je savais pas. Ce qu’elle voulait, elle. Qu’elle décide !
– C’est toujours moi ! Vous êtes pas marrant à force.
Elle s’est soulevée, appuyée sur un coude.
– C’est trop marrant des couilles, n’empêche !
J’ai senti son souffle dessus. Elle leur a envoyé une petite pichenette. Une autre.
– C’est complètement improbable en fait comme truc.
Elle en a pris la peau entre ses dents, a serré, relâché.
– Faudra que je vous les morde un jour… Un bon coup. Un jour que j’en serai bien. Bon, mais allez ! Qu’est-ce qu’on fait ?
Elle s’est penchée à mon oreille. A chuchoté, rieuse.
– On le fait s’astiquer, le Vincent, là, de l’autre côté ?
Elle a sorti son petit enregistreur.
– Qu’est-ce que je vais lui choisir ? Oui, cette fois-là, tiens ! C’était à l’hôtel. Et je savais qu’on pouvait m’entendre autour. Un type surtout qu’avait pas arrêté de me lorgner de tout le repas.
Elle a mis en mode lecture. Ses soupirs. Ses halètements. Ténus d’abord. Retenus.
On s’est levés sans bruit. On s’est approchés de la cloison. On y a collé l’oreille.
Elle m’a fait signe, de sa main refermée, agitée de haut en bas. Et de bas en haut. « Ça y est ! Il y va. »
C’était vrai. On percevait un souffle précipité, accompagné de légers crissements réguliers de matelas.
Sur le lit, dans le petit enregistreur, elle s’est emballée. En grondements sourds. Qui se sont amplifiés. Qui sont devenus raz-de-marée de jouissance éperdue. Clamée à pleine voix.
Elle s’est silencieusement accompagnée, l’index en tourbillons impétueux sur son bouton, l’oreille plaquée contre la cloison, les yeux fixés sur ma queue dressée dont je m’occupais avec conviction.
À côté, il est allé plus vite, plus profond. Il a lâché un cri étouffé. Un seul.
Elle a fermé les yeux, renversé la tête en arrière, entrouvert la bouche. Et joui sans bruit. Et puis elle s’est penchée à mon oreille.
– Qu’est-ce que vous pariez que demain il va se pointer à la première heure ? En se disant qu’avec un peu de chance je serai à moitié à poil.

Ce qui n’a pas loupé.
Sauf qu’elle s’était levée avant. Et habillée.
Dans son regard est passé un éclair de déception. Qu’il a très vite réprimé.
Elle lui a souri.
– Votre chauffe-eau est toujours en panne ?
– Je sais pas s’il le sera un jour. Pour avoir un professionnel au jour d’aujourd’hui, c’est la croix et la bannière.
Ben tiens ! Il devait pas trop les bousculer non plus.

Quand il est sorti de la douche, elle lui a tendu un double des clefs.
– On risque d’être absents quatre-cinq jours. Alors hésitez pas, hein, venez vous doucher. Faites comme chez vous !