vendredi 3 juillet 2015

Journal d'Amerina (14)

Lundi 25 janvier 2084


Marvine m’a arrêtée…
– Non… Attends ! Vaut mieux que tu descendes pas au labo ce matin…
– Hein ? Mais pourquoi ?
– Parce que… Parce qu’il y a une grosse huile qui vient nous rendre visite…
– Ah oui, d’accord… J’ai compris… Vaut mieux éviter qu’elle me voie… J’ai pas trop le droit d’y être en bas…
– C’est surtout qu’elle apprécierait pas que toi, tu la voies… Moins il y a de monde au courant de ce qu’elle vient faire ici…
– Qu’est-ce qu’elle vient faire ?
– Tu devines pas ? Son marché…
– Son marché ? Tu veux dire… Se choisir un mec ?
– Si c’était qu’un ! Non… En général, c’est deux ou trois qu’elle s’envoie à la file… Quelquefois plus… Et on la revoit pas d’un mois…
– Une dirigeante ! Non, mais alors là, j’en reviens pas… Alors que le discours qu’elles tiennent…
– Ça t’étonne ?
– Non… À vrai dire, non…
– Elles ont tous les droits… Elles les prennent… Quand on a le pouvoir…
– En attendant, j’ai l’impression que c’est bien ce qu’on disait jeudi… Une fois qu’on y a goûté aux hommes on peut plus s’en passer…
– Ben, évidemment…
– Tu parles d’expérience ?
– À ton avis ?
– Mon avis, c’est que quand on en a toute une tripotée, comme ça, sous la main, on est forcément tentée… Un jour ou l’autre… Tu me raconteras ?
– File ! Elle va arriver… Descends aux archives… En principe, c’est pour ça qu’on te l’a donné le laissez-passer… Si tu veux pas finir par avoir des ennuis à force de jamais y mettre les pieds…

Urfine m’a accueillie sur le pas de la porte…
– Ah, quand même ! Je finissais par désespérer, moi !
– C’est que…
– Oh, mais te justifie pas !
– Mais non, mais…
– C’est le branle-bas de combat là-bas, hein ?
– Un peu…
– Beaucoup, tu veux dire, oui… Chaque fois qu’elle vient celle-là, c’est pareil… Tout le monde sait pourquoi, mais tout le monde fait semblant de croire que c’est dans le cadre de ses fonctions… Pour vérifier que les quotas sont bien respectés… Les éprouvettes bien étiquetées… Tu parles ! C’est hypocrisie et compagnie tout ça… Comme d’habitude… Parce que tu vas en voir défiler des grosses pointures… Sous les prétextes les plus divers… Mais toujours pour les mêmes raisons… Ah, ça les tient de se caler un mec entre les cuisses… À croire que plus on est haut placée… En attendant, je me demande ce qu’elles y trouvent… Parce que moi aussi, j’ai essayé… Comme la plupart ici… Et, franchement, ça casse pas trois pattes à un canard… Tu t’éclates mille fois plus avec une nana… Tu trouves pas, toi ?
– Je peux pas savoir… J’ai jamais connu que ça les nanas…
– Oui… Évidemment… Tu vis avec Marvine, hein ?
– Et deux autres filles…
– Elles ont beaucoup de chance… T’as un charme fou… Moi, à leur place, c’est sans arrêt que j’aurais envie avec toi… Je te laisserais pas un moment de répit… Mais je vis pas avec toi… Ce qui empêche pas… Ce qui empêche rien… Si t’as envie, toi aussi, un jour… Non, non… Dis rien… Réponds pas… Pas tout de suite… Pas maintenant… Plus tard… Va travailler…
Et elle m’a remis un imposant dossier… Elle y a rassemblé tous les documents qu’elle a pu trouver concernant le séjour de mon grand-père Christopher au centre. Et pas seulement au centre. Parce que ce que je viens d’y découvrir, c’est qu’elles l’ont suivi pas à pas dans sa fuite. Elles ont toujours su où il se trouvait. Ce qu’il faisait. Avec qui. Tous les rapports sont là. Soigneusement numérotés. Et pourtant à aucun moment elles n’ont essayé d’intervenir. De le ramener. Elles l’ont laissé faire. Jusqu’au bout. Pourquoi ? Alors qu’une telle attitude est en complète contradiction avec les positions clairement et fermemement affichées du gouvernement de l’époque. Il y a certainement une raison, mais laquelle ? J’ai beau tourner et retourner la question dans tous les sens, je ne trouve aucune réponse qui me satisfasse vraiment. Il y a là un véritable mystère.