Ce matin-là, Coralie, ma vendeuse, tirait une tronche de dix
kilomètres.
– Hou
là ! Ça va pas, toi, on dirait !
Ah,
non, ça allait pas, non !
– Je
me suis embrouillée avec mes parents. Quelque chose de rare.
– Ça
s’arrangera.
– J’en
sais rien. Ils me gavent. C’est sans arrêt des réflexions sur
tout. Ma façon de m’habiller. Le temps que je passe sur mon
smartphone. Et les mecs. Alors ça, il supporte pas, mon père, que
je ramène des mecs dormir à la maison. Ma mère non plus. Sous
prétexte qu’elle, elle le faisait pas à son époque. Mais j’ai
vingt ans, moi, merde ! Alors si je profite pas de ma jeunesse
maintenant… Et c’est pas parce que, eux, de leur temps, la baise,
c’était seulement en option qu’il faudrait que nous, on s’en
passe aussi. Ça a changé, tout ça ! On voit plus les choses du
tout pareil aujourd’hui. Et heureusement !
Elle
a soupiré, fixé un long moment le mannequin en vitrine.
– Non,
ce qu’il faudrait, c’est que je me tire. J’y pense de plus en
plus. Seulement pour aller où ? Les locations, par ici, c’est
hors de prix. J’ai fait mes comptes. J’y arriverais pas, c’est
pas la peine. Ou bien alors faudrait que je me prive de tout. Et ça,
j’en suis incapable. Alors…
Et
elle est allée disposer les robes nouvellement arrivées sur les
portants.
Le
lendemain, elle était en retard. D’une bonne demi-heure.
– Excusez-moi !
Je suis désolée.
– Oh,
toi, t’as pleuré.
– J’en
peux plus ! J’en peux vraiment plus. Je me suis encore pris une
de ces avoinées. Et tout ça parce que je traversais la salle de
séjour sans rien. Ça fait des années que je me balade dans la
maison à poil. Ils y ont jamais rien trouvé à redire. Seulement
là, on a de nouveaux voisins. Deux jeunes. Des mecs. À cent
cinquante mètres, tu parles ! Paraît qu’à deux ou trois
reprises ils sont passés sur le petit chemin derrière. Et alors !
Ils ont bien le droit de se promener, s’ils ont envie. Et quand
bien même ils me verraient ! La belle affaire ! D’autant que,
si ça tombe, ils sont homos et qu’ils en ont strictement rien à
fiche de moi.
Une
cliente a poussé la porte. Elle est allée s’occuper d’elle. Est
revenue.
– Vous
connaîtriez pas quelque chose quelque part par hasard ? De pas
trop cher. Même petit.
– Non.
Mais, par contre, ce que je te peux te proposer, si c’est vraiment
insupportable chez toi…
– Ça
l’est ! Vous avez même pas idée…
– C’est
de t’héberger, dans ma chambre d’amis, le temps que tu te
retournes, que tu te trouves autre chose.
– Je
dis pas non. C’est drôlement sympa de votre part. Je dis pas non.
Mais,
l’après-midi, elle avait changé d’avis.
– Ça
va pas être possible.
– Et
pourquoi donc ?
– Pour
plein de raisons…
– Mais
encore ?
– Oh,
ben d’abord, vous me connaissez pas… Du moins dans ce
domaine-là ! Parce que moi, quand je tombe sur un mec qu’assure,
ça donne ! Les murs en tremblent.
– Quand
je dors, tu sais, je dors…
– Oui,
mais quand même ! Parce qu’à la maison, je peux pas me laisser
aller. Je me retiens. Alors si c’est pour que ça fasse la même
chose chez vous, que j’appréhende sans arrêt ce que vous allez
dire ou penser, c’est pas la peine. Autant que je reste là-bas.
– Ce
que je pense, c’est qu’on a toujours raison de vivre à fond ce
qu’on a à vivre. D’en profiter pleinement. Sans s’encombrer de
considérations parasites. Et je peux t’assurer que tu n’auras
jamais à essuyer la moindre réflexion ni le moindre reproche de ma
part à ce sujet-là.
– Si
seulement mes parents pouvaient être comme vous ! Bon, mais il y a
pas que ça ! Comme je vous disais, j’aime me sentir à l’aise.
Je trouve ça nul d’être obligée de se cacher. De pas pouvoir
aller de la salle de bains à la chambre sans s’entortiller dans
une serviette de bain. De pas pouvoir déjeuner en string si on en a
envie. Ou même carrément à poil. Seulement si ça doit vous
choquer et que je suis obligée de faire attention à tout…
– Ça
ne me pose absolument aucun problème non plus…
– Ça
va alors ! Mais ce qu’il y a aussi…
Elle
a paru hésiter, chercher ses mots.
– C’est
compliqué. Je sais pas comment dire sans vous vexer ni avoir l’air
prétentieuse.
– Essaie
toujours !
– Vous
êtes un homme. Et, si on vit tous les deux ensemble, dans la même
maison, peut-être qu’à un moment ou à un autre, vous allez avoir
envie d’essayer avec moi. Surtout si vous voyez défiler des mecs
comme des mecs. Vous allez vous dire que pourquoi pas vous ? Et ça,
c’est complètement exclu. Moi, les types de votre âge, je peux
pas. Je pourrai jamais, c’est pas la peine.
– Il
est pas question de ça. Et il en sera jamais question.
– Dans
ces conditions…
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