mardi 25 septembre 2018

Alyssia, ma femme (28)


Alyssia avait passé l’après-midi avec Benjamin.
– Mais pas à s’envoyer en l’air. À discuter.
– Et alors ?
– On s’est expliqués. À fond. Ça m’a fait un bien fou, tu peux pas savoir…
– Un peu quand même que je peux savoir, si !
– Du coup, avant de rentrer, je suis allée jeter un coup d’œil sur cette Camille. Depuis le temps que je voulais le faire. Et quand tu la vois comme ça, belle comme un cœur, féminine en diable, t’as vraiment du mal à y croire.
– Et pourtant…
– T’as eu l’occasion de constater, de visu je sais ! Vous êtes sacrément devenus complices, Benjamin et toi, hein, n’empêche !
– Mais qui c’est qu’a poussé à la roue ?
– En attendant, tu sais ce qu’on a décidé ? C’est qu’on allait faire cause commune, Benjamin, Camille et moi.
– Cause commune ?
– Se voir tous les trois ensemble, si tu préfères. Comme ça, au moins, je resterai pas à me morfondre dans mon coin pendant qu’il est avec elle. Enfin, avec lui. Et puis je t’avouerai que la situation est loin de me déplaire. Et ce Camille non plus il me déplaît pas. Il a quelque chose. Un charme fou, en fait. Non. Je suis vraiment curieuse de voir comment il s’y prend. Et de les voir ensemble tous les deux. Tu sais quoi ? Eh ben, ça tombe pile poil au bon moment ce truc. Parce que ça commençait à s’affadir sérieusement, Benjamin et moi. On allait droit dans le mur. Tandis que là, il y a toutes les chances que ça relance la machine. Et pas qu’un peu ! Sans compter qu’il y en a une qui va être aux anges, c’est Eugénie. En plus !
– Et moi, dans tout ça ?
– Oh, toi, évidemment que t’as ta place, toi ! Comme d’habitude. Manquerait plus que ça ! Et de toute façon, maintenant, c’est le genre de choses qu’il serait absolument hors de question que j’envisage sans toi. D’ailleurs, il serait peut-être temps que t’ailles te préparer. C’est ton rôle d’aller faire quelques petits repérages avant, non ?
– Ah, parce que…
– On attaque dès ce soir, oui. Allez, file !

J’ai commencé par me mettre à la recherche d’Eugénie. Sur qui j’ai fini par tomber nez à nez, après un long périple, au détour d’un couloir. Elle a sursauté, fait un bond en arrière.
– Vous m’avez fait peur.
– C’était pas le but. Désolé.
– On vous a changé de chambre. Elle en a voulu une avec deux grands lits, votre femme. Parce que quatre vous serez, cette nuit, à ce qu’il paraît…
– Sans compter qu’on aura de la visite.
Elle n’a pas cillé.
– C’est vrai qu’il y aura une surprise ?
– Et une belle !
– C’est quoi ?
– Ce sera plus une surprise, si je vous le dis.
Elle a pris un petit air enjôleur.
– Oh, vous pouvez bien… Je vous ai donné mon tablier.
– C’était un somptueux cadeau.
Elle a eu un petit sourire ravi.
– Vous avez aimé, c’est vrai ?
– Oh, que oui ! Et c’est rien de le dire.
– Vous savez qui j’ai mis dans la chambre à côté de la vôtre ? Le couple de types.
– Ça, par contre, c’est un joli petit cadeau que vous vous faites à vous-même. Non ?
Elle a haussé les épaules.
– Elle sait bien, votre femme.
– Que ? T’adores ça, les hommes entre eux ?
Elle a soutenu mon regard.
– C’est ce que je préfère.
– Alors tu seras pas déçue, ce soir, tu verras…

La salle de restaurant était pleine à craquer.
– Forcément, avec les ponts.
Alyssia s’est impatientée.
– Qu’est-ce qu’elle fabrique, Camille ? Elle descend pas ?
Benjamin a souri d’un air attendri.
– Oh, alors elle ! Il lui faut toujours des éternités pour se préparer…
Quand elle a enfin fait son apparition, toutes les conversations se sont interrompues. La salle a retenu son souffle, tandis qu’elle voguait jusqu’à nous, majestueuse, royale, indifférente aux regards admiratifs qui s’agrippaient à elles.
– Je vous ai fait attendre.
– Oui, mais ça en valait sacrément la peine.
En nous apportant l’entrée, Eugénie s’est penchée à mon oreille.
– Qu’est-ce qu’elle est belle, cette fille !

Avant de regagner la chambre, on s’est offert une longue promenade digestive dans les parages de l’hôtel.
– Il y a rien qui nous presse.
Malgré l’heure déjà bien avancée, il faisait encore une chaleur étouffante.
– Ce qui veut dire qu’il va falloir qu’on laisse la fenêtre ouverte.
– Et que, du coup, on va empêcher tout l’hôtel de dormir.
– Tant pis pour eux !
– Ou tant mieux.
Les regards des hommes et des femmes qu’on croisait se posaient immanquablement sur Camille, s’y attardaient longuement. On se retournait systématiquement sur elle.
– S’ils savaient !
Benjamin a fini par s’impatienter.
– Bon, on remonte ?
– T’es bien impatient !
Et Camille a encore voulu cinq minutes.
– J’aime trop ça comment on me regarde.
Puis encore cinq autres. Puis dix.

mardi 18 septembre 2018

Alyssia, ma femme (27)


Benjamin m’a arrêté, posé la main sur l’avant-bras.
– C’est celle de droite, Camille. La plus grande. Tu vois ? Comment tu la trouves ?
– Super canon, il y a pas à dire.
– Oui, hein ! J’ai craqué. Le moyen de faire autrement ? Mais attends, viens ! On va aller l’attendre dehors. Elle a bientôt fini. Qu’on la perturbe pas dans son travail. Elle a horreur de ça.

Il a fait les présentations.
– Camille… Alex…
Elle m’a fait claquer la bise, s’est attablée avec nous.
– Que des gros lourds ! Il y a des jours comme ça…
– C’est de ta faute ! T’as qu’à pas être si mignonne.
– Tu veux que j’y fasse quoi ? Que je me barbouille de vitriol ?
– Ah, non, malheureuse !
– J’aurais la paix au moins…
– Ça, c’est pas sûr !
– Tu sais de quoi je rêve, là, maintenant ? D’une bonne douche. Pour me laver de tout ça…
– Rien de plus facile. On va chez moi. Séverine rentre pas avant sept heures.

– Je t’ai emprunté ton peignoir.
– Je vois, oui !
Elle s’est ébrouée. En fines gouttelettes qui se sont éparpillées au hasard.
– En attendant, qu’est-ce que ça fait du bien !
Benjamin s’est levé, est passé derrière elle, lui a piqueté la nuque de petits baisers.
– Chut ! Veux-tu être sage !
– J’ai pas envie.
– Devant ton ami. Tu n’as pas honte ?
– Même pas.
Le cou.
Il s’est pressé contre elle. Elle s’est abandonnée.
Il a glissé une main sous le peignoir. Une main qui a moutonné à hauteur des seins. Qui s’est aventurée plus bas. Encore plus bas. Le peignoir s’est entrouvert.
J’ai poussé un cri de stupéfaction.
Il y avait… Elle avait… On voyait… Une bite et une paire de couillles.
Ils ont éclaté de rire. Tous les deux. De bon cœur.
– Ah, oui, ça surprend, hein !
Camille a refermé le peignoir.
– C’est tout pour aujourd’hui ! Et, de toute façon, puisque c’est comme ça, puisqu’il y a que des gros pervers dans cette maison, je m’en vais.
Ce qu’il a fait aussitôt après avoir renfilé sa robe.

– Il est vraiment fâché ?
– Penses-tu ! C’était concerté tout ça. On était de mèche. Bon, ben voilà ! Maintenant, tu sais.
– Comment vous m’avez eu !
– C’était le but. Elle adore ça, Camille, surprendre son monde là-dessus. Et faut reconnaître qu’avec toi, c’était particulièrement réussi. T’aurais vu ta tête ! Elle s’est délectée de voir ta réaction, je la connais. Et je peux te dire que j’ai pas fini d’en entendre parler.
– Je peux te poser une question ?
– Tout ce que tu veux.
– C’est purement sexuel avec lui ou bien…
– C’est beaucoup plus que sexuel. C’est un peu mon double, Camille. Jamais je ne me suis senti aussi compris, reconnu et accepté. Non, ce qu’il y a maintenant, c’est que pour Alyssia je sais vraiment pas quoi faire.
– C’est-à-dire ? Tu envisages de mettre un terme ?
– Oh, non, non. Pas du tout. Non. Au contraire. Seulement j’ai bien peur…
– Que ce soit elle qui le fasse. Alors ça, c’est pas exclu. Ça l’est même de moins en moins, dans le contexte actuel.
– Elle supporte pas l’idée que je puisse avoir quelqu’un d’autre. C’est ça, hein ?
– Ce qu’elle supporte pas, surtout, c’est que tu la prennes pour une conne. C’est de pas savoir sur quel pied danser avec toi.
– Tu crois qu’il faut que je lui parle ?
– Je crois pas. Je suis sûr.
– Il y a un risque quand même, non ?
– Évidemment ! Mais infiniment moindre, à mon avis, que si tu joues carte sur table. Elle appréciera.
– Je lui dis aussi que Camille, en réalité, c’est…
– Quand on dit la vérité et qu’on ment en même temps, ça le fait pas. Ça le fait jamais.

Je me suis levé.
– Bon, j’y vais. Je te laisse.
– Tu veux pas rester un peu ? Que Séverine te trouve là en rentrant. Ça la mettra de bon poil. Ça changera pour une fois.
– C’est la soupe à la grimace ?
–Et pire encore. Elle desserre pas les dents de toute la soirée. Elle se contente de balader partout son petit air : « Je dis rien. Je demande rien, mais je sais où t’as passé l’après-midi. Et avec qui. On me la fait pas à moi. »
Il a soupiré.
– Des fois j’aimerais encore mieux qu’on s’engueule.
– Qu’est-ce qu’elle sait au juste ?
– Peut-être tout. Peut-être rien. J’ai décidé de plus me poser la question. D’arrêter de me faire des nœuds au cerveau. Parce que ça change rien. Parce que Séverine, c’est quelqu’un qu’a un besoin viscéral de te faire la gueule. Qu’il y ait des raisons ou qu’il y en ait pas. Elle porte ça en elle. Faut qu’elle soit malheureuse. Que tout aille de travers dans sa vie. Et qu’elle en fasse porter la responsabilité à quelqu’un. Moi, en l’occurrence. Je suis en première ligne. Forcément.
Il a encore soupiré. Un soupir à fendre l’âme.
– J’en ai marre, par moments, mais j’en ai marre ! Quelle idée j’ai eue d’aller l’épouser. Non, mais quelle idée ! Ah, je t’assure que si c’était à refaire…
– Ça peut se défaire…
– Je sais bien, oui, mais…
Au-dehors, les graviers ont crissé.
– La v’là !

Elle a jeté ses clefs sur la petite console, dans l’entrée.
– Alors, les garçons, ça va comme vous voulez ?
Ça allait, oui !
– Qu’est-ce vous avez fait de beau ?
– Oh, rien ! Rien de spécial.
Derrière lui, le peignoir était resté par terre. Elle l’a ramassé, porté à ses narines et elle lui a jeté un regard furibond.
Qu’il n’a pas vu.

mardi 11 septembre 2018

Alyssia, ma femme (26)


Elle a finalement jeté son dévolu sur des jumeaux.
– Ils sont vraiment copie conforme, t’as vu ça ?
Avec qui elle a entretenu une correspondance assidue pendant trois jours.
– En tout cas, ils ont de la conversation. De l’humour. Ce qui ne gâte rien. Et ils savent des tas de choses. Par contre, ils font jamais rien l’un sans l’autre.
Ce qui l’arrangeait bien finalement.
– Ben oui, parce que j’ai encore jamais eu deux mecs en même temps, moi ! Quatre mains à te prodiguer des caresses partout. Deux bouches. Ça doit être génial.
– Et deux queues.
– Aussi, oui. Comme ça, le temps qu’il y en a une qui se repose, tu peux toujours profiter de l’autre.
Ils se sont finalement fixé rendez-vous.
– Mais tu resteras dans les parages, hein ! Parce qu’ils m’inspirent confiance, mais on sait jamais. Il y en a qui cachent bien leur jeu. Et puis, de toute façon, maintenant je conçois plus ce genre de choses sans que tu sois au moins à côté. Sans que je les partage avec toi.

Benjamin n’était jamais libre.
– On va se faire un petit tennis ?
– Désolé, mais aujourd’hui je peux pas.
Le lendemain non plus. Et pas davantage le surlendemain.
– Oh, et puis merde ! Pas la peine de tourner pendant des semaines autour du pot. Je vais jouer franc jeu avec toi. J’ai quelqu’un d’autre.
– Je m’en doutais bien un peu.
– Ben oui, forcément. J’arrête pas de te faire faux bond.
– Et pas seulement à moi.
– Elle aussi, elle se doute, hein…
– Évidemment ! Elle est pas idiote.
– Mais elle est pas sûre ?
– Il s’en faut vraiment de très très peu.
– Il y a quelque chose qu’il faudrait que tu saches. Et puis elle aussi maintenant. Même si je me demande comment elle le prendrait.
– Quoi donc ?
– Je vais te faire faire sa connaissance. Tu comprendras mieux…

Alyssia était sur des charbons ardents.
– Encore deux heures ! Pourvu que je leur plaise… Parce qu’une photo, ça peut être trompeur une photo.
– Pas dans ton cas.
– Je devrais peut-être plutôt mettre ma robe rouge, non ? Qu’est-ce t’en penses ?
– Celle-là est très bien.
– Je sais pas. Peut-être un peu trop osée, non ?
– Tu vas pas à une cérémonie religieuse.
– Oui, mais quand même ! Pour une première fois… C’est comme le maquillage. Ça fait pas trop mauvais genre au moins ?
– Pas du tout, non !
Elle est retournée devant la glace, a remis une mèche en place, lissé, du bout des doigts, le col de la robe.
– Tu sais quoi ? On dirait une gamine qui va à son premier rendez-vous amoureux.
Elle m’a tiré la langue.
– Ah, c’est malin ! Va prendre tes marques là-bas, tiens, plutôt !

Ils s’étaient pas fichus d’elle. Hôtel grande classe. Je suis monté m’approprier ma chambre. La 339. Une chambre immense. Avec tout le confort. Mini-bar. Micro-ondes. Écran plasma. Et matelas moëlleux que le diable. J’allais être bien. Et eux aussi. Eux ? Il y avait du bruit à côté. Des voix. Ils étaient déjà là ? Non. Il était beaucoup trop tôt. Et pourtant je ne rêvais pas. J’entendais bien parler. Je suis allé coller mon oreille à la cloison. Une voix d’homme. Une voix de femme. Qui n’était pas celle d’Alyssia. Aucun doute là-dessus. Donc, ben donc il y avait un problème quelque part. Ou la chambre avait été louée deux fois, ce qui paraissait quand même assez peu vraisemblable ou, pour une raison ou pour une autre, on ne leur avait pas attribué la chambre qui avait été initialement prévue. Quoi qu’il en soit, j’étais réduit à l’impuissance. Je me voyais mal aller demander des explications à la réception.

À huit heures, j’ai reçu un SMS : « On mange ailleurs. Tout se passe bien. T’inquiète pas. »
Vers onze heures, j’ai bien erré un peu, au hasard, dans les couloirs. En vain. Il était immense, cet hôtel et j’ignorais où ils se trouvaient. Sans compter qu’à séjourner comme ça, sans raison apparente, dans les couloirs, je risquais d’attirer l’attention et de faire naître des soupçons.
Le lendemain matin, j’avais un autre SMS « On déjeune dans la chambre. Tout est OK. On se retrouve à la maison. »

– Alors ? C’était bien ?
Elle m’a tendu les lèvres.
– Divin.
– On dirait, oui. T’as la tête de quelqu’un qu’on a épuisée de plaisir.
Elle s’est nichée au creux de mon épaule.
– Tu m’as manqué, tu sais ! Pas t’avoir là, à côté…
– Il s’est passé quoi, au juste, pour la chambre ?
– Oh, le genre d’idioties… Des habitués qui tiennent à la 341 comme à la prunelle de leurs yeux. La réceptionniste est nouvelle. Elle savait pas et elle leur en a collé une autre. Ils ont fait un foin pas possible. Et comme mes jumeaux se fichaient pas mal que ce soit cette chambre-là ou une autre.
– Et que tu pouvais rien dire…
– Ah, ben ça ! Oh, mais il y aura d’autres occasions.
– J’espère bien. Bon, mais tu racontes ?
– Ça se raconte pas ce genre de choses. Ça se vit. Ou ça s’écoute.
– Essaie quand même !
– Oh, ben tu te doutes ! On s’est d’abord éternisés au restaurant. Où ils m’ont minutieusement décrit, bien en détail, tout ce qu’ils allaient me faire. Ils avaient une façon de se renvoyer l’un à l’autre la balle… C’était d’un torride ! J’étais trempée. Et ils faisaient durer… Ils faisaient durer…
– Des artistes, en somme…
– On peut dire ça comme ça, oui. Et alors tu penses bien que, quand on est arrivés dans la chambre…
– Tu t’es retrouvée aussi sec à poil.
– Oh, non, non ! Parce que c’était déjà fait, ça !
– Hein ?
– Ben oui ! Dans l’ascenseur on avait commencé. Et puis on a continué dans le couloir.
– Complètement ?
– Complètement, oui. C’était d’un excitant !
– J’imagine… Et ensuite ?
– Ils se sont occupés de moi. Savamment. Ardemment.
– Et ils se sont passé le relais.
– Oui. Enfin, non ! Ensemble je les ai eus. Tous les deux. Un devant et un derrière. Et puis après, ils ont interverti les rôles.

mardi 4 septembre 2018

Alyssia, ma femme (25)


– Comment elle est ?
– Qui, ça ?
– Ben, la fille, tiens, cette Camille…
– Je sais pas, je…
– Parce que t’es pas allé voir la tronche qu’elle a, peut-être ? La tronche et le reste… À d’autres ! Je te connais depuis le temps. Alors elle est comment ?
– Pas mal…
– Pas mal ou pas mal ?
– Plutôt bien. Et même très bien. Absolument ravissante en fait.
– Ouais… Faudra que j’aille jeter un œil sur cette petite merveille.
– Tu vas pas…
– Faire un esclandre ? Pour qui tu me prends ? Tu devrais savoir que je suis beaucoup plus subtile que ça.
– Tu vas faire quoi alors ?
– Sûrement pas lui abandonner le terrain. Alors là, il y a pas de risques. Et j’ai quand même pas mal de cordes à mon arc. D’abord Eugénie. Il s’est senti frustré de pas être là, l’autre jour, Benjamin. Alors, Camille ou pas Camille, pas besoin de t’en faire que, la prochaine fois, il nous fera sûrement pas faux bond. Et comme Eugénie est très joueuse, qu’on mettra le paquet, un vrai feu d’artifice, il aura qu’une envie : revenir. Et puis il y aura la cerise sur le gâteau…
– Ah, oui, quoi ?
– Toi !
– Moi ? Ah, oui, je vois…
– Depuis le temps qu’il en crève d’envie… On peut bien lui offrir ce petit plaisir, non ?
– Devant Eugénie ?
– De préférence, oui. Ça n’en aura que plus de saveur. Et puis je devrais pas te le dire, mais elle m’a confié qu’elle adorait ça voir des mecs ensemble. Maintenant si ça te pose un problème…
– Oh, non ! Non !
Elle a éclaté de rire.
– Ben, voyons ! Plutôt deux fois qu’une, hein ! T’en as fait du chemin, toi, dis donc, en quelques semaines. C’est spectaculaire.

Je n’ai quasiment pas dormi de la nuit. Je me tournais, je me retournais dans le lit sans parvenir à trouver le sommeil.
– Mais qu’est-ce t’as à t’agiter comme ça ?
Je la revoyais, Eugénie. Ses doigts, avec frénésie, sous sa petite culotte rose. Le plaisir dans ses yeux. Dans ses plaintes doucement psalmodiées. Et puis, le lendemain matin, ses fesses majestueusement et longuement offertes. À ces images longuement et voluptueusement savourées sont venues s’en superposer d’autres. Benjamin. Benjamin et moi, enlacés. Et puis elles, à nous regarder. Intensément. Ce feu dans leurs yeux. Ce bonheur qui les inonde. Alyssia… Eugénie… Eugénie… Alyssia…

Je me suis levé à la pointe du jour. J’ai pris la voiture. Il faisait beau. Très. J’ai roulé au hasard. Pour rouler. Sans vraies pensées. Sans but. J’ai pris des routes. Des tronçons d’autoroute. Je suis repassé, à plusieurs reprises, au même endroit. À huit heures, sans l’avoir vraiment voulu, sans l’avoir vraiment cherché, je me suis trouvé à l’entrée de la départementale qui mène au « Petit Castel ». Je n’ai pas eu l’ombre d’une hésitation. Je m’y suis résolument engagé.
Plusieurs couples déjeunaient sur la terrasse. Je les ai salués, me suis installé tout au bout, un peu à l’écart. Eugénie n’est pas tout de suite venue vers moi. Elle s’est consacrée à ses autres clients. Elle allait, elle venait, resplendissante dans le soleil. Elle a fini par s’approcher.
– Vous êtes tout seul aujourd’hui ?
– Tout seul et de passage. Très vite. J’avais trop envie de vous voir, ne fût-ce que quelques instants.
Elle m’a souri.
– C’est gentil. Je vous sers quelque chose ?
– Un copieux petit déjeuner. Ça s’impose. Et ça m’en rappellera un autre.
Elle a légèrement rosi.
– Thé ou café ?
– Café. Avec un peu de lait. J’y repense souvent, vous savez !
– Moi aussi. Tous les jours.
Et elle m’a tourné le dos.

Elle m’avait gâté. Quatre croissants. Quatre pains au chocolat. Pain, beurre et confiture à foison.
– Et si vous avez besoin de quoi que ce soit d’autre…
– Oh, non, ça ira, merci. Je mangerai jamais tout ça. Par contre, une petite question, Eugénie…
– Oui ?
– Votre tablier, là, c’est celui que vous aviez l’autre matin ?
– Oh, non, non ! Celui-là, je le remets pas. Je l’ai jamais remis.
– Parce que ?
– Comme ça…
Et elle est repartie.
J’ai pris tout mon temps pour déjeuner. Quand je me suis enfin levé, à regret, elle n’avait pas reparu. J’ai regagné ma voiture. Sur le siège passager se trouvait un paquet que j’ai ouvert avec curiosité. C’était le petit tablier blanc…

Alyssia l’a déplié, étalé sur la table.
– Tu sais qu’elle me plaît de plus en plus, cette petite ? Elle a des idées en pagaille. Bon, mais alors tu vas en faire quoi, toi, maintenant, de ce petit souvenir ?
– Mais, rien ! Je…
– Tu parles que tu vas rien en faire ! Alors là, je suis bien tranquille. En attendant, ce que je constate, moi, c’est que tu te la joues perso.
– C’était le hasard. Quand j’ai vu que j’étais à côté…
– Mais bien sûr ! Je vais avaler ça…
– Je te jure…
– Jure pas ! Viens m’aider plutôt…
Et elle s’est installée à l’ordi.
– À quoi ?
– À me choisir un type. Ben, fais pas cette tête-là ! Qu’est-ce qu’il y a ? C’est à cause de Benjamin ? Je vais me battre pour pas qu’elle me le pique, l’autre petite dinde, oui, ça, c’est sûr. Mais faut aussi que j’assure mes arrières. Parce que je me fais pas d’illusions : ça n’aura qu’un temps, Benjamin. Pas parce qu’il me plaquera, non, parce que JE le plaquerai. Quand j’en aurai bien marre de me poser sans arrêt des questions. De devoir pleurnicher pour qu’il m’accorde un peu de son temps. Parce que c’est pas la première, cette Camille. Je me fais pas d’illusions. Et c’est pas la dernière non plus. Bon, mais assieds-toi ! Reste pas planté là. Et, tiens, regarde ! Quatre, j’en ai sélectionné. Dis-moi ce que t’en penses, mais franchement, hein !