mardi 31 juillet 2018

Alyssia, ma femme (20)


– Alex ? C’est Benjamin ! Ça va ?
– Et toi ? T’as une voix bizarre.
– Écoute… Si jamais Séverine t’appelle…
– Elle se doute de quelque chose ?
– Peut-être. C’est possible. Je sais pas. Mais mieux vaut prévenir que guérir. Alors si elle t’appelle, on était tous les deux à Forbach, ce week-end. À un congrès sur les règles d’arbitrage au hand.
– Vu. Et si elle veut des précisions ?
– Je t’ai envoyé un mail avec le nom et l’adresse de l’hôtel où on a soi-disant dormi, celle de la salle où avait lieu le congrès – qui s’est effectivement tenu – et les horaires de train.
– Ça marche.
– Cela étant, tu fais quoi, toi, cet après-midi ?
– Rien de spécial.
– On va se faire un tennis alors ? Ça nous décrassera, ça nous donnera l’occasion de discuter un peu entre hommes et, si jamais elle appelle, tu me la passeras. Ça la rassurera de nous savoir ensemble.

On s’est laissé tomber sur le banc, au bord du court, nos raquettes à nos pieds.
– Je manque d’entraînement, il y a pas à dire.
– Et moi donc !
Il a repris son souffle, s’est mis à dessiner un cercle, du bout du pied, dans la poussière.
– J’ai déjeuné avec ta femme hier.
– Je sais, oui, elle m’a dit.
– Et on a beaucoup parlé de toi.
– De moi ? Diable !
– Tu sais ce qu’elle aimerait ?
– Dis !
– Nous voir nous occuper l’un de l’autre ou, plus exactement, te voir t’occuper de moi.
– Elle m’en a jamais parlé.
– Non, mais elle t’a tendu la perche, un jour, au « Petit Castel », une perche que tu n’as pas saisie. Ça te répugne tant que ça ?
J’ai haussé les épaules.
– C’est pas que ça me répugne. C’est que j’ai jamais essayé. J’ai jamais eu l’occasion. Alors comment veux-tu que je sache si j’aime ou si j’aime pas ?
Il s’est levé.
– Le seul moyen de savoir…
Il n’a pas achevé sa phrase. Il s’est dirigé vers le court.
– On échange encore quelques balles ?

J’ai jeté ma raquette.
– Bon, allez, cette fois, moi, je jette l’éponge. J’en peux plus. Une bonne douche et…
– On la prendra à la maison. Je m’en méfie comme de la peste, moi, de ces douches publiques Et puis tu pourras voir Séverine comme ça.
Séverine qui n’était pas là.
– Non. Vers six heures elle rentre. Tiens, c’est par là la douche.
Il m’a apporté gant de toilette et serviette de bain.
– Ça t’ennuie si je la prends avec toi ?
Ça m’ennuyait pas, non.
Il m’a rejoint. Chacun s’est d’abord savonné et frictionné en silence. Rincé.
Il a avancé la main en souriant, m’a effleuré le ventre, juste au-dessous du nombril.
Je n’ai rien dit. J’ai soutenu son regard.
Il est descendu, m’a sollicité, du bout du pouce.
– T’as l’air d’aimer ça, finalement, dis donc !
Il s’est agenouillé. M’a d’abord léchoté le gland, à rapides petits coups de langue, sur toute sa surface. L’a emprisonné et agacé entre ses dents. Avant de m’engloutir. De me la tournoyer tout en me malaxant savamment les couilles. De plus en plus savamment. J’ai gémi. Et j’ai déchargé en psalmodiant mon plaisir. Il a bu. Jusqu’au bout.
Une petite claque sur les fesses et il s’est relevé.
– À ton tour maintenant !
À mon tour.
Je l’ai lentement apprivoisée. Avec les doigts. Avec la bouche. Avec la langue. Ses mains s’étaient posées sur ma nuque qu’il pétrissait avec ardeur. Je l’ai pris entre mes lèvres, juste au bord, relâché, repris. Encore rejeté.
– S’il te plaît, Alex, s’il te plaît !
Et il s’est enfoncé tout entier en moi avec un long râle de satisfaction. A donné de grands coups de reins que j’ai accompagnés, les mains agrippées à ses fesses. Il a libéré son plaisir à longues giclées chaudes dont je me suis repu.
– Alors ? Pas trop déçu pour une première fois ?
– Oh, non, non !
– Il y aura plus qu’à faire la surprise à ta petite femme.

Quand Séverine est rentrée, on était attablés tous les deux devant un grand verre de whisky.
– Ah, ben, ça va ! Faut pas s’en faire.
– Ça pourrait être pire. Tu veux quelque chose ?
– Oui. Un muscat.
Qu’il est allé lui chercher.
Elle en a profité pour se pencher vers moi.
– Faut que je vous parle. Faut absolument que je vous parle. Demain midi ? À la brasserie ?
Je lui ai signifié mon accord d’un signe de tête.

Alyssia m’a considéré d’un air amusé.
– Et toi, t’en es encore à penser qu’elle te drague pas…
– Je crois pas, non.
– Tu parles ! C’est clair comme de l’eau de roche. Qu’est-ce tu veux que ce soit d’autre ?
– Je sais pas.
– Mais si, c’est ça ! Bien sûr que c’est ça ! Bon… Mais, et cette partie de tennis avec Benjamin ? C’était bien ?
– Ça a pas duré longtemps. On n’est vraiment pas au top de notre forme tous les deux.
– Tu m’en diras tant…
– On a pas mal discuté du coup. Et il m’a dit que tu crevais d’envie de nous voir faire des trucs ensemble, lui et moi.
– Ça fait des semaines et des semaines qu’il me bassine avec ça.
– C’est pas vrai ?
– Si ! Bien sûr que si que c’est vrai. Que ça me plairait ! Et surtout que ce soit vous deux. Je vais pas nier l’évidence. Mais j’y attache pas autant d’importance qu’il l’imagine. Ou qu’il le souhaiterait. Parce que manifestement, lui, ça le tient !


mardi 24 juillet 2018

Alyssia, ma femme (19)


Au petit déjeuner, c’était elle, la fille du patron, qui était de service sur la terrasse. Elle y faisait de rapides apparitions, débarrassait un plateau, passait vite fait un coup de torchon sur une table. En évitant soigneusement de trop s’approcher de nous. Et sans jamais jeter le moindre regard dans notre direction. De toute évidence, elle n’en menait pas large.
Alyssia a fini par l’appeler.
– S’il vous plaît…
Elle s’est approchée. À contrecœur.
– Vous vous appelez comment ?
– Eugénie…
– Et vous avez quel âge ?
– Vingt-deux.
– Alors comme ça, Eugénie, on espionne les clients… Une grande fille comme toi ! Tu sais que c’est pas bien du tout ?
Elle est devenue écarlate.
– Je vous jure…
Alyssia a éclaté de rire.
– Ben, voyons ! N’empêche… Qu’est-ce que ça a dû être frustrant pour toi ! Être interrompue, comme ça, en pleine action.
Elle se dandinait d’un pied sur l’autre, se grattait nerveusement la joue.
– Tu t’es finie dans ta chambre, j’parie ! Non ?
Elle a désespérément cherché autour d’elle un hypothétique secours.
– Faut que j’y aille ! Il y a du monde.
– T’as bien deux minutes. À ton avis, il va penser quoi de tout ça, ton père ?
Elle s’est affolée.
– Vous allez pas lui dire !
– Peut-être que non. Et puis peut-être que si.
– Le dites pas ! Je vous en supplie, le dites pas !
– À une condition…
– Laquelle ?
– Je te le ferai savoir, le moment venu.
On l’a appelée de l’intérieur.
– Voilà ! J’arrive… Excusez-moi !
Elle s’est éloignée. A disparu.
On a voulu savoir, Benjamin et moi.
– Et c’est quoi, cette condition ?
– Vous verrez bien. Ce sera la surprise.

On était sur le parking, en train d’empiler nos sacs de voyage dans le coffre de nos voitures quand on a aperçu la jeune femme rousse qui venait droit sur nous.
– Tiens, on l’avait oubliée celle-là !
Elle a abordé Alyssia, tout sourire.
– Bonjour… Je vais sans doute vous paraître d’un invraisemblable sans gêne, mais est-ce qu’il ne vous serait pas possible de me déposer à la gare ? Ça fait un quart d’heure que j’essaie d’appeler un taxi, mais c’est la croix et la bannière.
– Si ! Bien sûr ! Tenez, vous n’avez qu’à monter avec Alex. Vous lui tiendrez compagnie.

Elle s’est installée, a bouclé sa ceinture.
– Merci ! C’est très gentil à vous.
Je me suis engagé sur la petite portion menant à la nationale.
– Vous allez où, au juste ?
– Porte de Versailles.
– Je vous y laisserai. Ça me fait pas un grand détour.
– Je ne voudrais pas abuser.
Mais non ! Elle abusait pas, non.
On a roulé une bonne dizaine de kilomètres sans échanger le moindre mot. Et puis elle a fini par se lancer.
– Excusez mon indiscrétion, mais…
– Mais ?
– Mais j’ai cru comprendre que cette dame était votre femme.
– Oui. Et alors ?
– Et alors je me disais… Je me demandais… Mais enfin ça ne me regarde pas…
– Vous vous demandiez pourquoi ce n’est pas avec moi qu’elle est repartie ? Parce qu’elle est arrivée avec son amant. Et que c’est avec lui qu’elle avait envie de repartir. Ça vous va comme explication ?
– Je suis confuse. Je ne voudrais pas me mêler…
– Oui, oh, de toute façon… Vous occupiez la chambre à côté de la nôtre, non ?
Elle m’a jeté un regard en coin.
– Si !
– Et comme les murs sont en carton-pâte dans cet hôtel…
– Ah, ça !
– Vous étiez aux premières loges.
– Quand bien même je n’aurais pas voulu entendre…
– On vous a empêchée de dormir. J’en suis désolé.
Elle a haussé les épaules.
– Pas grave.
Et aussitôt ajouté.
– Moi aussi, je suis mariée.
– Ah !
Elle a suivi des yeux un transporteur qui déchargeait des colis sur le trottoir.
– Et j’ai aussi un amant.
À mon tour de lui jeter un regard en coin. Où elle voulait en venir, là ?
Elle a soupiré.
– Si on pouvait s’entendre, tous les trois, aussi bien que vous.
– Ça viendra peut-être…
– Sûrement pas, non ! Parce qu’il faudrait d’abord que mon mari soit au courant que j’ai quelqu’un d’autre. Et il vaudrait mieux pas. Ce jour-là, il m’arrache les yeux. N’empêche, comment ça fait rêver, votre truc…
Je me suis garé le long du trottoir.
– Vous êtes arrivée.
– Déjà !
Elle a ouvert la portière.
– Bon, ben merci. Merci beaucoup. Et sans doute à une prochaine fois. Là-bas…

Alyssia en était convaincue.
– Ah, ça, c’est sûr qu’on l’y retrouvera là-bas. À se rincer les oreilles dans la chambre d’à côté. Cela étant, tu y as cru ?
– À quoi ?
– Le mari, l’amant, tout ça…
– Je sais pas. Ça avait l’air vrai…
– Un mari… Un amant… Et elle se retrouve toute seule à l’hôtel ? Mouais…


mardi 17 juillet 2018

Alyssia, ma femme (18)


Alyssia voulait retourner au Petit Castel. Avec Benjamin. La même chambre.
– Parce que c’est là que tout a commencé, nous deux. Alors j’ai plein de souvenirs là-bas. J’adore ça repasser dessus. Non, et puis ce qu’il y a aussi : à la maison, c’est pas mal, oui, bien sûr. Je vais pas dire le contraire, mais ça vaut quand même pas quand t’as plein de monde autour. Que tu les regardes pendant que tu dînes les gens et que tu te dis qu’il y en a, dans le tas, qui vont être dans les chambres voisines, qui vont t’entendre baiser, que ça va les exciter que le diable. Et tu sais ce qu’il faudrait ? Qui serait mille fois mieux ? C’est savoir qui. Qui il y a à droite, qui il y a à gauche, qui il y a au-dessus. On y ferait tout spécialement attention à ceux-là. On les bichonnerait du regard pendant qu’ils mangent. Et comme ça, après, une fois qu’on serait en haut… Mais j’y pense ! C’est faisable. Tu pourrais partir en éclaireur, toi ! Tu finis tôt. Tu surveillerais les arrivées, les allées et venues, tout ça… Et tu nous dirais.

À quatre heures, j’étais là-bas. J’ai commencé par m’offrir une petite ronde dans les étages. À tout hasard. Bien m’en a pris. Au troisième, une porte, sur laquelle était inscrit « PRIVÉ », en grosses lettres rouges sur fond blanc, était entrebaillée. Ça parlait à l’intérieur. Des voix de femmes. Jeunes. Deux. Dont celle de la serveuse, la fille des patrons.
– Il est là, j’te dis ! Je viens de voir sa voiture…
– Qui ça ?
– Mais le cocu, tiens ! Le cocu de la 122.
– Tout seul ? Il y a pas les deux autres ?
– Sûrement qu’ils vont pas tarder.
Elles se sont chuchoté quelque chose.
– Non ! Tu vas pas faire ça !
– Je vais me gêner !
Et elles ont éclaté d’un rire interminable.

Je me suis discrètement éclipsé. Je suis redescendu. Et je me suis trouvé nez à nez avec une jeune femme rousse d’une trentaine d’années qui ne m’a pas prêté la moindre attention et qui s’est précipitamment engouffrée dans la chambre voisine. Celle de droite. Ça commençait bien…
Je me suis installé, avec ma tablette, à la fenêtre de la nôtre, une fesse sur le radiateur, et j’ai attentivement surveillé les allées et venues.
À cinq heures et demi est arrivé un couple de retraités qui est allé se perdre très loin dans les étages. Et puis, une vingtaine de minutes plus tard, deux autres. Coup sur coup. L’un, d’âge mûr, s’est installé dans une chambre de l’étage du dessus, un peu sur la droite. L’autre, d’une trentaine d’années, a élu domicile à l’autre bout du couloir.
À six heures, sont arrivés deux types. Dans les vingt-cinq ans. À qui on a donné la chambre voisine. Celle de gauche. Des amis ? Des frères ? Un couple ? Je n’ai pas tardé à être fixé.
– Elle te plaisait la petite brune, hein, là-bas, tout-à-l’heure.
– Oui, oh…
– Menteur ! T’as pas arrêté de la bouffer des yeux. Tout l’après-midi. Et de bander.
– Tu te l’es imaginé.
– Ben, voyons ! Je te connais, attends, depuis le temps. Et je suis sûr que rien que de parler d’elle, ça recommence à grimper. Fais voir ! Fais voir, j’te dis ! Tiens, bingo ! Et pas qu’un peu ! Je comprendrai jamais que des nanas puissent te mettre dans des états pareils. T’es vraiment rien qu’un gros cochon. Un putain de salaud de gros cochon. Mais j’aime ça. Et je vais en profiter.
Ils se sont tus. Il y a eu des halètements. Un bruit de succion. Des gémissements.
– T’as avalé… J’adore quand t’avales.
Des baisers. Des chuchotements. Encore des baisers.

Au restaurant, après, en bas, je les leur ai discrètement indiqués, du coin de l’œil.
– Ce sont eux.
Elle a souri.
– Ils vont remettre ça tout-àl’heure. On fera ce qu’il faut pour. Et la rouquine, elle est où ?
– À mon avis, là.
La table vide, juste à côté de la nôtre.
On l’a attendue pendant tout le repas.
– Mais qu’est-ce qu’elle fout ? Qu’on voie à quoi elle ressemble au moins.
Quand elle a enfin fait son apparition, on attaquait le dessert. Elle nous a, cette fois, gratifiés d’un large sourire. Un sourire qu’Alyssia et Benjamin lui ont rendu.
Ils se sont longuement attardés à table. Se sont pris la main, fait des chuchoteries à l’oreille, bécotés tant et plus. Et ils l’ont laissée remonter la première.

Dans l’ascenseur, Alyssia m’a donné ses consignes.
– Tu surveilles ? Tu écoutes ? Comment ça réagit. Ce qui se passe. Des deux côtés. Tu nous raconteras.
Dans la chambre, elle a fait mine d’être furieuse.
– Espèce de salaud ! Tu l’as fait exprès. Je suis sûre que tu l’as fait exprès.
Et Benjamin mine de tomber des nues.
– Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait exprès ?
– Joue bien les innocents ! Parce que qu’est-ce que c’est que ces façons de traîner des éternités à table alors que tu sais très bien que j’en peux plus tellement je crève d’envie que tu m’enchattes.
– Oh, mais si c’est que ça ! T’en veux ! Eh bien tu vas en avoir…
– J’espère bien. Et t’as intérêt à tenir la distance.
– Toi, tu me cherches, ce soir. Tu me cherches et tu vas me trouver.
Il l’a fait reculer, à petites poussées insistantes, du plat de la main, jusqu’au mur. Celui du côté des types. Il l’y a plaquée, immobilisée. Il a relevé la robe, écarté la culotte. Et constaté, d’un doigt inquisiteur.
– T’es trempée.
Il l’a pénétrée d’un coup. Et aussitôt bourrelée à grands coups de reins impérieux.
– Oh, Benjamin ! Benjamin !
Elle a amoureusement noué ses bras autour de lui.
– Mon Benjamin !
Ils réagissaient comment les types à côté ? J’avais beau tendre l’oreille. Impossible d’entendre quoi que ce soit. Les gémissements d’Alyssia, les claquements de ses fesses sur la cloison contre laquelle elles venaient méthodiquement battre, à chaque coup de boutoir, faisaient désespérément écran. Et de dehors ? Peut-être que de dehors… Oui, sûrement même. Je me suis discrètement approché de la porte. Que j’ai ouverte et derrière laquelle j’ai trouvé, penchée à l’équerre, l’œil rivé au trou de la serrure… la serveuse, la fille des patrons, le jean déboutonné, une main à l’intérieur. Elle m’a jeté un regard épouvanté et s’est enfuie. Du plus vite qu’elle a pu.
J’ai attendu qu’elle ait disparu au détour du couloir et je me suis, à mon tour, approché de la porte de nos voisins. J’y ai collé l’oreille. Il m’a semblé percevoir un coulis de mots murmurés très bas. Sans certitude absolue. Peut-être mon imagination me jouait-elle des tours. Et la rousse à droite ? Je les ai abandonnés et suis allé m’occuper d’elle. Elle gémissait. Une myriade de petits gémissements étouffés. Sans doute dans l’oreiller.

mardi 10 juillet 2018

Alyssia, ma femme (17)


Je me suis empressé, aussitôt rentré, de donner rendez-vous à Séverine, la femme de Benjamin.
– Vous allez avoir la surprise, un de ces quatre matins, de me voir arriver en compagnie de votre mari.
– Ah, parce que c’est vous ! Il m’a effectivement parlé d’un pote avec qui il faisait plein d’activités. Qu’il tenait absolument à me présenter. Et c’est vous ! Il manque vraiment pas d’air.
– C’est moi, oui !
– Eh ben, si je m’attendais à ça ! Quoique… plus ça va et plus je me dis que rien ne l’arrête, qu’il n’a aucun respect de quoi que ce soit. La preuve ! Non, mais faut quand même être particulièrement retors, avouez, pour aller copiner comme ça avec le mari de sa maîtresse.
– Il doit avoir une petite idée derrière la tête.
– Le connaissant, ça fait pas l’ombre d’un doute. Toute la question est de savoir laquelle. Une chose est sûre, en tout cas, c’est qu’il doit allègrement se délecter, quand il est avec vous, de l’idée qu’il se tape votre femme derrière votre dos. C’est comme, franchement, me faire vous rencontrer, c’est un peu, d’une certaine façon, m’exhiber sa maîtresse sous le nez à mon insu, non ? Vous trouvez pas ? Ah, il doit bien rigoler en son for intérieur de nous manœuvrer tous les deux comme il nous manœuvre.
– Sauf qu’on n’est pas dupes. Alors qui c’est qui tire les ficelles, en réalité, au bout du compte ?
– Lui quand même. Parce qu’il arrive à ses fins. Et qu’il nous fait cocus. L’un comme l’autre.
– Oui, alors, si je vous comprends bien, vous voudriez qu’on siffle la fin de la récréation ?
– Je sais pas. J’en sais rien. Ce qu’il y a, par contre, c’est qu’avec le recul, je me demande si on n’a pas eu tort finalement. Si on n’aurait pas dû mettre les pieds dans le plat dès le début. Empêcher tout ça de prendre de l’ampleur.
– On les aurait braqués. Et sans doute définitivement perdus.
– On les a perdus de toute façon. Parce que je sais pas vous, mais moi, je suis devenue complètement transparente à ses yeux. Alors il y a des moments, il me vient une de ces furieuses envies de ruer dans les brancards. De déclencher quelque chose. N’importe quoi. Pour qu’il me voie. Pour que j’existe. Et puis, il y en a d’autres où je m’en fiche complètement. Où je me dis que c’est mort. Que je n’ai plus vraiment de sentiments pour lui. Que rien, quoi que je fasse, ne pourra plus jamais être comme avant. Que le mieux que j’aie à faire, c’est d’organiser ma petite vie à côté de la sienne. Sans lui. Que je sorte. Que je m’éclate. Et que, moi aussi, je me prenne un amant plutôt que de rester terrée dans mon coin.

Alyssia s’est esclaffée…
– Si c’est pas un appel du pied, ça ! Et alors, tu vas faire quoi ? Tu vas donner suite ?
– Je crois pas, non.
– Pourquoi ? Elle te plaît pas ?
– C’est pas qu’elle me plaît pas, c’est que la situation est déjà assez compliquée comme ça, non, tu trouves pas ?
Elle m’a ébouriffé les cheveux.
– Ah, tu changeras pas, toi, hein ! Tu trouveras toujours un prétexte pour te défiler devant une nana qui te fait des avances. Bon, mais on va pas revenir là-dessus. Je t’ai déjà dit cent mille fois ce que j’en pensais. En attendant, si je comprends bien, elle a pas l’intention de mettre les pieds dans le plat.
– Pas pour le moment en tout cas.
– Ben oui, elle est pas idiote. Elle le sait bien, va, tout au fond d’elle-même qu’elle a pas intérêt à lui poser un ultimatum. Et que s’il était vraiment obligé de choisir entre elle et moi… Bon, mais tu crois que tu vas t’en sortir ?
– Comment ça ?
– Entre lui qu’est pas au courant que tu complotes avec sa femme derrière son dos et elle qui sait pas que tu cautionnes allègrement ma relation avec son mari, ça va pas forcément être simple. Tu risques de te faire à tout moment des nœuds. D’autant qu’il y a aussi moi. Qui suis censée pas savoir, du moins pour le moment, que tu vas aller jouer les pompiers de service auprès d’elle.
– Je naviguerai à vue.
– Au risque de te planter…
– Mais le moyen de faire autrement ?

Benjamin a voulu qu’on se voie. Tous les deux. Rien que nous deux.
– Qu’on se concerte… Qu’on s’invente des souvenirs en commun… Qu’on se fabrique des anecdotes… Parce que je connais Séverine. Elle aura tôt fait de flairer qu’il y a anguille sous roche sinon.
On travaillait à vingt minutes l’un de l’autre. On s’est déniché un petit restaurant à mi-chemin où on s’est retrouvés le lendemain, sur le coup de midi.
Bon, mais alors elle était comment sa femme finalement ?
Il m’a sorti une photo. Qui datait d’au moins dix ans. On l’y voyait souriante, assise sur un rocher, la robe relevée haut sur les cuisses.
– Pas mal…
– Oh, pour ça, oui ! C’est pas moi qui te dirai le contraire. Seulement…
– Seulement ?
Il a levé les yeux au ciel.
– Elle est comme l’immense majorité des femmes. Coincée du cul. Et le pire, c’est qu’elle est convaincue du contraire. Sous prétexte qu’elle condescend à me tailler une pipe, du bout des lèvres, tous les tournants de lune ou qu’elle se laisse mettre un doigt dans le cul, de temps à autre, quand on baise, elle s’imagine être sexuellement libérée. Au top du top dans ce domaine. Le reste ? Ce sont, à ses yeux, pratiques de pervers dont elle ne veut pas entendre parler. Dans ces conditions, comment veux-tu que j’aille pas voir ailleurs ? N’importe qui, à ma place… Ce qui ne l’empêche pas d’avoir plein de qualités. Et puis on s’entend plutôt bien. On a, dans quantité de domaines, une même façon de voir les choses. Sans compter tout ce qu’on a vécu ensemble. De bon ou de moins bon. Tout ça nous a, au fil du temps, sanglés l’un à l’autre. Tant et si bien que je ne pourrais pas vivre sans elle. Ce n’est seulement pas envisageable. Mais, d’un autre côté, sexuellement, faut que je m’éclate. C’est impératif. Et, à cet égard, ta petite femme est un don du ciel. Une véritable bénédiction. Le cul, elle adore. Elle en veut. Elle en redemande. Et pas n’importe quoi ! De l’élaboré. Du qui sort de l’ordinaire. Elle est ouverte à tout. Ah, ça, avec elle, je suis sûr de pas m’ennuyer. Les idées que moi j’ai pas, c’est elle qui va les avoir. C’est pour ça, j’ai du mal à te comprendre, j’avoue ! Réussir à te faire claquer la porte au nez par une femme aussi demandeuse et, qui plus est, ta propre femme, faut quand même le faire. T’as dû y mettre sacrément du tien, non ? Il s’est passé quoi au juste ?
– Rien. Absolument rien. Ce qu’elle me reproche en fait, c’est de pas avoir su la faire être ce qu’elle ne savait pas qu’elle était.
– Oui. Oui. Mais il y a sûrement pas que ça.

Il m’a fait faire la connaissance – si on peut dire – de Séverine le soir même.
– Vite fait, pour la première fois. Que ça fasse pas trop insistant. On boit un coup et puis tu te casses.
Il nous a présentés.
– Alex… Le copain dont je t’ai parlé. On se connaît depuis… Hou là là… Des éternités. On s’était complètement perdus de vue. Et puis on s’est retrouvés. Par hasard. Et là, maintenant, on se quitte plus. Ah, non alors ! Des tas de trucs on va faire ensemble.
– Enchantée.
– Moi aussi.
On a parfaitement joué le jeu, elle et moi. On a été, tout du long, de parfaits inconnus l’un pour l’autre.

mardi 3 juillet 2018

Alyssia, ma femme (16)


Elle a agité la main jusqu’à ce que la voiture de Benjamin ait disparu derrière le petit bosquet.
– Bon, ben voilà…
On est lentement revenus vers l’hôtel. Le gravier crissait sous nos pieds.
– C’est rassurant quand même…
– Quoi donc ?
– Qu’il t’ait demandé de lui servir d’alibi pour sa femme. Ça prouve qu’il a pas l’intention de mettre un terme, nous deux. Au moins dans l’immédiat.
– C’est ta grande hantise, ça, hein !
– Il y a de quoi, non ? Parce que c’est le régime de la douche écossaise avec lui. Il te laisse sans nouvelles pendant des semaines et puis il réapparaît d’un coup, comme ça, sans crier gare, plus tendre et passionné que jamais. Non, j’avoue que j’ai un mal fou à le cerner. Qu’est-ce qu’il veut au juste ? Qu’est-ce qu’il ressent vraiment pour moi ? Mystère. Tiens, viens, on va aller s’asseoir un peu là-bas.
Sous la tonnelle. Sous la glycine. Elle y a joué un moment à pousser un caillou, du bout du pied, perdue dans ses pensées.
– Il y a des moments, je me dis que, si ça tombe, c’est purement stratégique tout ça. Qu’il me met sur des charbons ardents exprès. Pour me déstabiliser. Pour me rendre complètement accro. Et puis, il y a d’autres moments, je me dis que je vais chercher midi à quatorze heures, que c’est bien plus simple que ça : il est beau, il est séduisant, il a toutes les nanas qu’il veut à ses pieds. Je suis une parmi d’autres. Parmi beaucoup d’autres. Le mieux que j’aie à faire, c’est de prendre ce qu’il me donne. Quand il me le donne. Sans me poser tant de questions. Sans exiger quoi que ce soit. Sans revendiquer quoi que ce soit. Il finirait par se lasser. Et je finirais par le perdre. Non ? Tu crois pas ? Qu’est-ce t’en penses, toi ?
– Que tu l’as dans la peau.
– Oui. Non. Je sais pas en fait. J’ai besoin de lui, ça, c’est sûr. D’être dans ses bras. De caresser sa peau. D’entendre ses mots. D’avoir sa queue. Qu’elle gicle en moi. Est-ce que ça veut dire pour autant que je suis…
Elle s’est interrompue.
– Amoureuse ? C’est le mot que tu cherches ?
Elle s’est récriée.
– Non. Ça, non ! Je crois pas.
– Bien sûr que si ! Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Tu devrais l’admettre, une bonne fois pour toutes. Tu te sentirais beaucoup mieux.
– Oui, mais…
– Mais moi ? Disons, si ça peut te rassurer, que je suis convaincu qu’on peut, sans problème, aimer deux personnes à la fois. Au moins…
– Tu es vraiment…
– Exceptionnel, je sais. Tu n’en as jamais douté, j’espère !

On était en train de s’installer pour déjeuner, à midi, quand son portable a sonné.
– Tu réponds pas ?
– Non. C’est l’autre, là, le Gauvin du quatorze juillet.
Qui a laissé un message qu’elle a écouté en soupirant.
– Il est lourd, mais lourd !
– Il veut quoi ?
– Devine !
– Et apparemment, t’en es pas.
– Pas bien, non. Pas du tout, même. C’est pas que j’aie quoi que ce soit contre lui. Il est agréable. Il baise bien. J’ai passé de bons moments avec. Mais bon… Il vient d’y avoir Benjamin. Je suis encore toute pleine de lui. Et Benjamin, c’est Benjamin. Alors Gauvin !

On a passé l’après-midi à la piscine.
– Que je rentre quand même un minimum bronzée.
Et j’ai fait mine de me plonger, tandis qu’elle somnolait, dans la lecture d’un polar-alibi.
Elle a éclaté de rire.
– T’es vraiment pas discret. Tu les bouffes carrément des yeux, les nanas, oui ! T’es pas le seul, remarque ! Parce qu’il y a en a un, là-bas, à droite.
– Qu’arrête pas de te mater… Normal. Une belle femme comme toi.
– Oui, oh, ben, en l’occurence, c’est plutôt après toi qu’il en a.
– Moi ? Il est où ?
– Le maillot vert. Sur le transat rouge. Vas-y, si tu veux, hein ! Je suis sûre qu’il y aura mèche avec lui.
– Oui, mais non. Merci. Sans façons.
– Ça vaut mieux. Parce qu’il serait pas déçu du voyage, le pauvre.
– Qu’est-ce t’en sais ?
– J’en sais que je t’ai vu à l’œuvre, pas plus tard que ce matin, avec la queue de Benjamin. Tu savais pas par quel bout la prendre, c’est le cas de le dire. On aurait dit que t’avais peur qu’elle te morde. Ou qu’elle te saute à la figure. Vous êtes trop, vous, les mecs, n’empêche, avec ça. Vous en faites toute une histoire. Pour nous reluquer ensemble, nous, les nanas, ah, ça, vous vous faites pas prier. Vous êtes les premiers à réclamer. Mais quand il s’agit de nous offrir la réciproque, il y a plus personne.

Dans le lit, elle s’est tournée. Retournée. Dix fois. Vingt fois. A fini par rallumer son Blackberry. Fait défiler les photos.
– Si seulement il avait la bonne idée d’appeler, mais faut pas rêver. À cette heure-ci, il y a pas de risque.
Elle a soupiré. L’a éteint. Continué à se retourner encore et encore.
– Rien que de penser à lui, non, mais comment il me donne envie, ce salaud !
Elle l’a repris. Fait encore défiler.
– Celle-là ! C’est celle que je préfère.
On l’y voyait en pied, tout sourire, la queue à demi dressée.
– Tiens-le moi ! Que j’aie les mains libres ! Un peu plus haut… Oui. Là. Comme ça ! Génial.
Ses mains ont moutonné sous les draps, l’une à hauteur des seins, l’autre de la chatte. Son souffle s’est fait plus court.
– Oh, oui, Benjamin ! Que c’est bon ! Que c’est bon !
Elle a rejeté draps et couvertures au pied du lit, s’est ouverte au large. Ses reins se sont creusés. Sa tête s’est affolée sur l’oreiller. Un doigt a tourbillonné sur son bouton. Son autre main l’a obstinément lissée sur toute sa longueur. Elle a imploré…
– Sa bite ! Change la photo ! Donne-moi sa bite. Vite, mais vite !
Ses yeux s’y sont rivés.
– Je vais jouir… Je jouis… Oh, Benjamin !