mardi 27 novembre 2018

Clorinde, ma colocataire (5)


Il ne nous a fallu que quelques jours pour prendre notre vitesse de croisière.
Elle se levait vers huit heures.
– Mais vous me réveillez, hein, si je m’oublie…
Surgissait, tout ensommeillée, en petite tenue – ou carrément à poil, c’était selon – dans la cuisine.
– Salut !
– Bien dormi ?
Elle ne répondait pas, se versait, en le faisant bien souvent déborder, un grand bol de café noir qu’elle avalait d’un trait.
Et elle filait à la salle de bains. D’où elle m’appelait presque aussitôt.
– Venez me parler ! Ça me réveillera. J’aime pas ça, rester toute seule, n’importe comment.
Elle se douchait. Et puis moi. Elle se séchait les cheveux, se maquillait devant la glace au-dessus du lavabo. Tout en poussant de profonds soupirs.
– Encore une journée à tirer. C’est la purge ! Non, mais quelle idée j’ai eue d’aller m’engouffrer là-dedans, moi ? Psycho. Tu parles ! On te gave de certitudes soi-disant scientifiques qui n’auront plus cours dans dix ans. Et que je te fais des nœuds au cerveau. Et que je te m’écoute causer. Et tout ça pour quoi ? Pour rien. T’auras pas de boulot à la sortie. Plus personne en veut des psychologues. C’est passé de mode. Et on est des milliers sur le marché.
Elle me tendait la joue.
– Bon, allez, courage, j’y vais.

Elle rentrait vers cinq ou six heures. Quelquefois sept.
– Non pas que j’aie passé tout ce temps-là à la fac, hein, je suis pas maso. Non, j’ai traîné à droite, traîné à gauche. Discuté. Fait quelques magasins. Passé un coup de fil à Emma. Et quand on se téléphone, toutes les deux, en général, ça dure…
Il était hors de question de descendre à la piscine. La température ne s’y prêtait plus.
Alors elle s’éclipsait dans sa chambre.
– Je vais bosser.
Et en ressortait dès qu’elle m’entendait m’agiter aux fourneaux.
– Je vais pas vous laisser tout faire, attendez ! Et puis faudra voir aussi pour les courses. Que je participe…
– Oui, oh…
– Ah, si, si ! Faut pas exagérer. De toute façon, ils accepteront jamais ça, mes parents. Alors si vous voulez pas qu’ils me rapatrient…

Le meilleur moment de la journée, c’était le soir. Après le repas. On s’installait au salon. On n’allumait pas la télé.
– C’est pour les vieux, ça, la télé, vous trouvez pas ?
Elle sirotait un limoncello. Moi, un Lavagulin. Et elle entrait en confidences.
– Mine de rien, il y en a quand même trois qui me tournent autour depuis la rentrée. Et des pas mal du tout. Un surtout. Un petit blond. Un belge. Dont je ferais bien mon quatre heures.
– Eh, ben, vas-y ! Qu’est-ce t’attends ? Fonce !
– Ah, ben non ! Non ! Surtout pas. Faut lui laisser le temps de monter en pression au mec. De se demander s’il va parvenir à ses fins ou pas. Ce n’en est que meilleur le jour où ça se fait. Pour lui comme pour toi.
– C’est toujours vous, les filles, qui menez le jeu en fait. À votre guise.
– Encore heureux ! Manquerait plus que ça !

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