mardi 13 novembre 2018

Clorinde, ma colocataire (3)


Elle a émergé à onze heures. Au radar. Et vêtue, en tout et pour tout, d’une toute petite culotte blanche qui mettait généreusement en relief – et en valeur – ce qu’elle était supposée dissimuler.
– Tu veux du café ?
– Ce serait sympa, oui. Que j’y voie plus clair !
Elle a soupiré.
– Cinq messages il m’a laissés depuis ce matin, aux aurores. Cinq.
– Maxime ?
– Ben, oui ! Et tout ça pour me dire qu’il faut que je prospecte au plus vite. Qu’il est pas question que je reste ici à vous ennuyer.
– Mais tu m’ennuies pas.
– J’ai vraiment pas l’impression, non.
Son téléphone a sonné.
– Qu’est-ce vous pariez que c’est lui ? Ah, non, tiens, c’est ma mère, ce coup-ci… Allô, oui… Oui… Mais tu me l’as déjà dit dix mille fois, ça, enfin, maman ! Mais non ! Non ! Mais oui, j’te promets, oui ! C’est ça ! Moi aussi…
Elle a raccroché.
– Qu’est-ce qu’elle peut être lourde quand elle s’y met ! Toujours le même refrain : « Ne parle pas à tort et à travers, Clorinde ! Ne dis pas n’importe quoi ! Un jour ou l’autre, ça te retombera sur le coin de la figure. » En gros, elle a peur que je vous vexe. Mais ça, moi, je suis pas d’accord. Faut le dire ce qu’on pense. Ou ce qu’on ressent. Et tant pis si l’autre, en face, ça lui plaît pas. Ou s’il le prend de travers. Il y a rien de pire que de tout garder pour soi. Non ? Vous croyez pas, vous ?
– Fais comme tu le sens !
– Et son autre grand dada, c’est de me répéter, sur tous les tons, qu’il faut que je sois un minimum décente. Elle me bassine avec ça. « T’es pas à la maison, Clorinde ! Tu te balades pas à poil chez ce monsieur ! Ça se fait pas ! » Mais moi, ce qui se fait ou ce qui se fait pas, les conventions, tout ça, j’en ai strictement rien à battre. Et c’est depuis toute petite que j’ai l’habitude d’être à mon aise, alors c’est sûrement pas aujourd’hui que je vais changer. Qu’elle y compte pas ! D’autant que, de toute façon, ça regarde que nous, vous et moi, ce qui se passe ici. Et je me balade comme j’ai envie.
– Ce qui ne me gêne absolument pas.
– Tu parles que ça vous gêne pas ! Vous vous régalez, oui ! Ça saute aux yeux.<Si bien que, finalement, tout le monde est content. Sauf elle ! Mais elle le saura pas.
Elle s’est étirée.
– Je pourrais pas ravoir un café ? Non, attendez ! Bougez pas ! Je vais y aller. Je vais me servir.
Elle a chaloupé jusqu’au plan de travail. Je n’ai pas quitté ses fesses des yeux ni, au retour, la douce échancrure voilée dont je me suis désespérément efforcé de percer le secret, du regard, sous le fin tissu blanc.
Elle s’est rassise.
– J’appréhende… Vous pouvez pas savoir comme j’appréhende…
– Quoi donc ?
– D’en trouver un d’appart. Parce que je vais l’avoir sans arrêt par les pieds. À vouloir l’aménager comme elle l’entend, elle ! Ça va être prise de tête permanente. Parce que, dans son esprit, ses goûts à elle ont valeur universelle. Elle ne conçoit pas une seule seconde qu’on puisse en avoir d’autres. Et comme j’ai pas du tout envie que, chez moi, ce soit l’exacte réplique de chez elle, on va s’engueuler vingt fois par jour.
– Eh bien, gagne du temps ! Fais semblant de mettre toute ton énergie à chercher. Et ne trouve pas ! Moi, de mon côté, je rassurerai Maxime. Mais oui, tout se passe bien ! Mais non, tu ne me gênes pas. Pas le moins du monde. Au contraire ! Ça me fait une présence. Ça met un peu d’animation et de jeunesse dans la maison. Et tutti quanti… Petit à petit ça va devenir une situation de fait. À laquelle ils vont s’habituer. Ils n’en parleront presque plus. De moins en moins. Dans trois mois, Ils n’en parleront plus du tout. Et le tour sera joué.
– Vous savez que vous êtes plein de ressources, vous, quand vous voulez ? Bon, mais en attendant faudrait peut-être bien que je fasse un saut à la fac, moi ! Louper la rentrée, ça ferait quand même désordre…

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