mardi 9 octobre 2018

Alyssia, ma femme (30)


– Si j’avais su…
– Si t’avais su quoi ?
– Ben, que Benjamin nous avait une petite Camille comme ça sous le coude, j’aurais pas lancé l’opération jumeaux, moi !
– T’es pas mariée avec.
– Je suis pas mariée avec, non, ça, c’est sûr, mais j’ai pas trop envie de les laisser de côté non plus. Je m’éclate bien avec eux. Et puis ils sont tellement adorables…
– Amène-les le prochain coup. Quand il y en a pour cinq, il y en a pour sept.
– Oui, ben alors là, je les vois pas vraiment dans le rôle. C’est pas du tout le genre à apprécier les trucs entre mecs. Non, je vais me partager. C’est la seule solution. Une fois les uns, une fois les autres.
– Ça risque de pas être facile tous les jours.
– J’aviserai. Le moment venu. Bon, mais et toi, dans tout ça ?
– Quoi, moi ?
– Tu le vis comment ce qui se passe là ?
– Oh, bien. Très bien, même.
– C’est l’impression que tu donnes.
– Benjamin m’a grandement facilité les choses. Tout va de soi avec lui. Tout est parfaitement naturel.
– Tu prêches une convertie. Et Camille ?
– Oh, Camille ! C’est un véritable enchantement, Camille.
– Une petite merveille que, pour le moment, tu as dû te contenter de toucher avec les yeux. Oh, mais n’aie crainte… Ça va sûrement pas en rester là.
– J’espère bien.
– Et Eugénie ?
– Je sais pas, Eugénie. C’est compliqué.
– Oh, pas tant que ça ! Elle t’émeut, Eugénie. Elle te bouleverse. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Je te connais depuis le temps.
– C’est vrai qu’avec elle…
– T’es amoureux, avoue !
– Je crois pas, non.
– En tout cas, elle, elle l’est de toi. Ça fait pas l’ombre d’un doute.

Je me suis brusquement décidé. En tout début d’après-midi. J’avais trop envie. De la voir. D’échanger quelques mots avec elle. De la sentir à mes côtés.
– Toi !
Un sourire de surprise ravi.
– Moi, oui ! Tu me manquais trop…
Qui s’est épanoui au large.
Et presque aussitôt estompé.
– Si tu veux déjeuner, c’est trop tard. Ils vont jamais vouloir aux cuisines.
Je me fichais pas mal de déjeuner.
– Je veux juste passer un peu de temps avec toi.
Le sourire est revenu. Plus lumineux encore.
– Alors je finis mon service… J’en ai pas pour longtemps. Et je te retrouve sur le petit chemin derrière le parking. Tu vois où ?
Je voyais, oui.

On s’est enfoncés dans le petit bois.
– Je suis contente que tu sois venu. Très. Parce que…
– Parce que ?
Elle a marqué un long temps d’arrêt.
– J’avais peur que tu veuilles plus me voir.
– Et puis quoi encore !
Elle m’a jeté un petit regard de côté.
– Tu me juges pas trop mal ?
– Il y a aucune espèce de raison.
– Oh, si ! Si ! Il y a ce que je t’ai dit l’autre nuit. Et puis ce qu’il y a eu avant dans la chambre.
J’ai haussé les épaules.
– N’importe quoi ! Non, mais alors là, c’est vraiment du grand n’importe quoi…
– T’es sûr ? Tu me méprises pas ? Tu me trouves pas vicieuse ?
– Non, mais c’est quoi, ces idées que t’es allée te fourrer dans la tête ?
– Ça me fait honte, des fois, tu sais, toutes ces envies que j’ai. Que je peux pas m’empêcher d’avoir. Je me dis que je suis pas normale d’autant aimer ça voir des hommes entre eux. Bien plus que n’importe quoi d’autre.
Je lui ai pris la main. Elle a entrecroisé ses doigts avec les miens.
– Merci. Merci que je puisse parler comme ça avec toi. Te dire plein de choses que j’ai jamais dites à personne.
Elle a hésité.
– Les autres non plus, Benjamin, Camille, ils me jugent pas mal, tu crois ?
– Ça y est ! V’là que ça la reprend…
– Mais non, mais…
– Mais si ! Arrête de te faire des nœuds à la tête là-dessus, comme ça, sans arrêt.
– C’est que…
– C’est qu’il y a tellement longtemps que c’est ton secret… Un secret que, pendant des années, tu as eu la terreur de voir découvert, persuadée que tu passerais alors pour la dernière des dernières. Une perverse. Une anormale.
Elle m’a serré très fort la main.
– Qu’aujourd’hui que tu pourrais vivre tes aspirations en toute sérénité, avec des gens qui les partagent, eh bien non, tes appréhensions sont toujours là, bien calées, au risque de te gâcher ton plaisir.
– Tu comprends tout. C’est fou, ça !
– On ne te juge pas mal, Eugénie. Au contraire. On aime tes regards sur nous. Et on aime que tu aimes nous regarder. Beaucoup.
On s’est arrêtés. On s’est tus. Je me suis penché vers elle, vers ses lèvres qu’elle m’a abandonnées.


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