mardi 7 août 2018

Alyssia, ma femme (21)


Séverine a attaqué, d’emblée, avant même d’avoir fini de s’asseoir.
– Il a quelqu’un d’autre.
– Quoi ? Qui ça ?
– Benjamin. Quelqu’un d’autre que votre femme.
– Vous êtes sûre ?
– Pratiquement.
– Et c’est qui ?
– Alors ça ! Oh, mais je finirai bien par le découvrir. Ou bien vous. Vous le voyez souvent. Quelque chose va forcément, à un moment ou à un autre, vous sauter aux yeux. Ou même… vous pouvez susciter des confidences. Entre hommes, on aime se vanter. Et je le vois bien dans le rôle.
– Vous allez faire quoi ?
– J’aviserai. Quand je saurai. Mais pas la peine que je me berce d’illusions. Je ferai rien. Je subirai. Comme d’habitude. En espérant qu’il va pas se toquer de cette nouvelle conquête. Qu’il va pas avoir la lumineuse idée de vouloir « refaire sa vie ». Je l’ai dans la peau, qu’est-ce que vous voulez ! Alors il peut bien me faire cocue tant et plus. Du moment qu’il reste avec moi, qu’il parle pas de me quitter, qu’il dort, au moins de temps en temps, dans notre lit, que je peux me blottir contre lui, j’en ai rien à foutre. Je suis prête à tout accepter. Et à fermer les yeux. Vous comprenez ça ?
– Très bien, oui.
Elle m’a saisi la main par-dessus la table, l’a serrée à la broyer.
– J’ai peur ! Si vous saviez ce que j’ai peur ! J’ai peur que c’en soit une qui veuille me le voler, cette fois-ci. Qui fasse tout pour ça. Vous allez m’aider, hein ? On va trouver. Que je sache qui c’est. Si elle est mariée. Ce qu’elle a dans la tête. Si je dois m’inquiéter ou bien si… Oui, hein que vous allez m’aider ?
– Je vous le promets.
– Merci.
Elle a desserré son étreinte.
– Pour vous, par contre, peut-être que les choses vont s’arranger du coup. Tout nouveau, tout beau. Votre femme sera reléguée au second plan. Peut-être même qu’elle va complètement disparaître de son champ de vision. Qu’elle l’encombre maintenant. Qu’il envisage de s’en débarrasser. Et que tout ça ne sera bientôt plus, pour vous, qu’un lointain et mauvais souvenir.
Elle s’est levée. Elle avait les larmes aux yeux.
– À bientôt. Je compte sur vous, hein !

Alyssia était persuadée qu’il ne la quitterait pas.
– T’as assisté, attends ! T’as vu quel pied il prend avec moi. Et il renoncerait à ça ? Ah, non ! Non. J’y crois pas une seule seconde. Maintenant, qu’il suive parallèlement une autre piste, c’est possible. Le connaissant, c’est même probable. Parce que, quand il commence à raconter, comme ça, que sa femme a des doutes, qu’il faut faire preuve de la plus extrême prudence, c’est qu’il a ouvert un nouveau front et que, du coup, il a moins de temps à me consacrer. C’est ce qui s’est passé à Nice, cet été. C’est ce qui se passe encore aujourd’hui. Reste qu’il n’est pas dans mon intérêt de le brusquer, de me montrer, comme il m’est arrivé de le faire par le passé, exigeante et vindicative. Ce n’est pas, à l’évidence, la meilleure stratégie à adopter, avec lui, dans ce genre de situation. Mieux vaut que j’entre dans son jeu, que je fasse semblant de croire ce qu’il raconte et que je le laisse venir à son rythme. Tout en lui offrant, de temps à autre, quelque savoureuse nouveauté qui stimule son appétit pour moi. Et, de ce côté-là, j’ai déjà ma petite idée.
– C’est-à-dire ?
– Tu verras bien…
– Mais si, dis !
– Quand ce sera au point, ce qui n’est pas encore tout-à-fait le cas. Cela étant, ça ne doit pas t’empêcher de mener discrètement, malgré tout, ta petite enquête. Je suis quand même curieuse de savoir à quoi ressemble cette « rivale » avec lequel je vais devoir le partager.
– J’avoue que je ne m’attendais pas à ce que tu prennes les choses avec autant de philosophie.
– Comme quoi tout arrive !

Elle m’attendait devant la porte de chez moi. La jeune femme rousse.
– Vous me reconnaissez pas ?
– Si, bien sûr ! Vous étiez au Petit Castel. Et je vous ai emmenée à la porte de Versailles.
– Voilà, oui.
– Mais comment vous avez eu mon adresse ?
– Votre courrier était bien en vue, sous mon nez, dans votre voiture. Et comme j’ai une excellente mémoire… On peut parler deux minutes ?
– Vite fait alors… Parce que je suis déjà pas mal en retard ce matin.
– Ce sera pas long. Voilà : j’écris un livre.
– Ah !
– Et mes personnages se trouvent dans une situation très similaire à la vôtre. Il y a une femme, un mari et un amant. Et ce que j’aimerais, c’est que vous me serviez un peu de modèle tous les trois.
– Oh, on n’a rien d’extraordinaire, vous savez !
– C’est justement ce qui m’intéresse.
– Eh bien, faites alors ! J’y vois pas d’inconvénient. À condition, bien évidemment, que notre anonymat soit préservé.
– Ça coule de source. On pourra se voir quand, du coup ?
– Se voir ? Mais pour quoi faire ?
– J’ai besoin de savoir comment vous vivez la situation. Ce que vous ressentez. Comment vous le percevez, lui. Comment tout a commencé. Et plein d’autres choses encore. Ça vous pose problème ?
– Pas vraiment, non. Disons que ça me surprend.
– Je peux quand même compter sur vous ?
– Si vous voulez, oui.
– Et votre femme ? Elle accepterait de jouer le jeu, vous croyez ?
– Je lui poserai la question. Et je la poserai à Benjamin.
– Merci. J’ai votre accord de principe alors ?
– Vous l’avez.
– Voilà mes coordonnées. Vous m’appelez quand vous voulez. Qu’on prenne rendez-vous. Tardez pas trop, si vous pouvez. Que je puisse avancer.

Ça a beaucoup amusé Alyssia.
– T’as gobé un truc pareil ?
– Ben, pourquoi elle écrirait pas un livre ?
– Mais c’est cousu de fil blanc, enfin ! Voilà une nana qui se donne allègrement du plaisir en nous écoutant nous envoyer en l’air, Benjamin et moi, au Petit Castel. Tu l’as entendu toi-même. Que ça excite sûrement comme une petite folle de te savoir là, à côté de nous. Et qui a envie de mettre le nez plus avant dans tout ça. De se repaître de nous. Le plus possible. Alors elle a inventé cette histoire de bouquin. Ça fait sérieux un bouquin. Ça te vous pose son auteur. Et ça constitue un excellent alibi. Mais je te parie ce que tu veux qu’il verra jamais le jour ce bouquin.
– Tu crois ?
– Je crois pas. Je suis sûre. Mais ça doit pas nous empêcher de jouer le jeu. Au contraire, même. Ça peut se révéler très amusant.


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