lundi 11 mai 2015

Journal d'Amerina (8)

Samedi 16 janvier 2084


Hier soir coup de téléphone d’Hédelice, la petite fille de Zaza. Qui voulait qu’on se voie. Pour parler du Journal de ma grand’mère…
– Je l’ai reçu ce matin…
Et elle l’avait déjà lu ? Elle avait eu le temps ?
– Oh, il y a longtemps que je l’ai lu… Ça fait des années…
– Hein ? Comment ça ?
– Parce que c’est moi qui l’ai l’original… Mais ce serait mieux de vive voix, non ?

Et on s’est retrouvées, tout à l’heure, à la cafeteria de la fac… Cette même fac où Roxane a fait ses études il y a cinquante ans…
Je l’ai tout de suite reconnue. Sans l’avoir jamais vue. C’était elle. C’était forcément elle. Une petite brune aux yeux noirs, au teint mat, aux gestes vifs… À l’allure décidée. Qui s’est jetée à mon cou…
– Je suis heureuse… Il y a si longtemps que je l’espérais ce moment-là… Et si contente que tu travailles sur elles… Que tu les fasses revivre…
C’est elle qui me l’a envoyé le journal… Une copie…
– Pas une seule seconde je me suis doutée que ça pouvait être toi… Mais alors quand j’ai compris hier !
Les larmes lui sont montées aux yeux. On s’est pris la main par-dessus la table. On se l’est serrée…
Et puis j’ai voulu savoir… Parce que, quand je l’avais rencontrée Zaza, elle le croyait perdu, elle, ce Journal…
– Il l’a été… Il a disparu quand on a été cambriolées en soixante-dix-sept… Et nous a été restitué, six mois plus tard, quand on a retrouvé nos voleuses et l’essentiel de ce qu’elles nous avaient dérobé… Zaza n’en a rien su… Ma mère a préféré lui cacher qu’il nous avait été rendu… Qu’elle ne continue pas à se faire du mal avec… À ne vivre que par lui… Et à pleurer des heures et des heures dessus… Peut-être qu’elle a eu tort… Peut-être qu’elle a eu raison… Comment savoir ?
Elle avait plein de choses à m’apprendre en fait… Qu’elle tenait soit de la bouche même de Zaza…
– Il y a eu une époque où elle était intarissable sur cette période… Elle pouvait en parler pendant des journées entières…
Soit des recherches qu’elle avait elle-même menées…
– Ça me fascinait tout ça… Ça me fascine encore… Faut dire aussi… Je lui ressemble tellement à ma grand’mère Zaza… Pour plein de choses…
Quelque chose d’à la fois doux et métallique est passé, très vite, dans son regard…
Bon, mais j’y étais allée, moi, à Collioure ?
– À Collioure ? Non… Pourquoi Collioure ? Qu’est-ce qu’il y a à Collioure ?
– On ira ensemble… Je t’y emménerai… Elle y est encore la maison…
Et elle a raconté. Jusqu’au soir. Jusqu’à la nuit tombée. Elle s’est brusquement interrompue…
– Faut que je rentre… On se reverra, hein ?
Bien sûr qu’on se reverra. On en a tout autant envie l’une que l’autre.

Grâce à elle, les pièces du puzzle se mettent progressivement en place. Des éléments isolés prennent sens. D’autres, que je croyais essentiels, se révèlent parfaitement insignifiants. Tout bouge. Se déplace. Se recompose. Et je commence à y voir enfin beaucoup plus clair… Récapitulons : Roxane a quitté La Rochelle – et Christopher pour qui il n’y avait plus le moindre espoir – dans l’intention de se rendre à Tamanrasset où une amie de Zaza devait l’héberger jusqu’à l’accouchement… L’idée, c’était de faire enregistrer la naissance là-bas. Ce qui permettrait, une fois de retour en France, de régulariser la situation sans trop de difficultés. À condition que Roxane puisse prouver qu’elle s’y trouvait au moment de la conception. Zaza se faisait fort, avec l’aide de son amie, d’obtenir tous les certificats de complaisance nécessaires. Le problème, c’est qu’au moment même où Roxane allait embarquer, l’amie en question est brusquement décédée. Et que Roxane s’est trouvée coincée à Collioure où il s’en est fallu de peu qu’elle ne soit arrêtée. Elle n’a dû son salut qu’à l’aide d’une vieille femme qui, prise de pitié, l’a cachée dans son grenier. C’est là que Zaza l’a rejointe et qu’elles ont élaboré un plan B qui devait les conduire, quelques semaines plus tard, à Moscou. Moscou où Roxane a accouché et où elles sont restées suffisamment longtemps – pas loin de quatre ans – pour qu’on ne leur crée pas de difficultés majeures à propos de l’enfant – ma mère – quand elles sont rentrées.

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