samedi 2 mai 2015

Journal d'Amerina (6)

Mercredi 13 janvier 2084


Je suis regonflée à bloc pour ma thèse. Je retrouve l’envie de m’y consacrer à fond. Je l’avais perdue : je pressentais trop bien, même si c’était confusément, que je faisais fausse route. Grâce à Madame Xazert, j’y vois maintenant beaucoup plus clair. Et, du coup, je prends les choses à bras le corps… J’ai repassé une annonce. Beaucoup plus ciblée que la précédente : « Étudiante, recherche pour thèse de doctorat, tous témoignages sur les tentatives d’évasion des centres de confinement – réussies ou non – dans les années trente. »

Dans la foulée, j’ai remis au propre les notes prises à la volée – elle ne voulait pas que je l’enregistre – quand j’ai rencontré Zaza il y a deux ans. Elle était déjà bien malade et faisait d’énormes efforts pour réussir à s’exprimer. Me raconter ce qu’elle savait. C’était entrecoupé d’interminables quintes de toux. Qui l’exaspéraient. Et qui l’ont manifestement empêchée de me dire tout ce qu’elle aurait voulu. C’est moi qui ai fini par couper court à l’entretien : je culpabilisais de contribuer à l’épuiser par mes questions. Dont beaucoup sont dès lors restées en suspens. Or, il se trouve que Zaza avait une petite-fille, Hédelice, dont elle a évoqué, à deux ou trois reprises, l’existence devant moi. Je n’y avais pas, sur le moment, attaché vraiment d’importance. Elle était de mon âge. C’était une période qu’elle n’avait pas vécue. Pas plus que moi. De quelle utilité aurait-elle pu m’être ? Mais, à la réflexion, je me dis que ce n’est pas si sûr. Après tout, avant de tomber malade, Zaza a parfaitement pu évoquer longuement ses souvenirs devant elle… Alors oui… Retrouver Hédelice… Ce qui ne devrait pas présenter de difficultés particulières… Elle est forcément, comme nous toutes, fichée au HGA4… La retrouver et, dans un premier temps, lui expédier le double du « Journal de Roxane. » Après tout il y est tant et tant question de Zaza qu’il la concerne aussi… Et cet envoi constituera une excellente entrée en matière si, d’aventure, elle a des révélations à me faire…

C’est à La Rochelle – à proximité de La Rochelle – que Roxane et Christopher ont passé leurs derniers jours ensemble. C’est là qu’il est mort. Ou pratiquement. Dans la vieille maison familiale. Il n’en reste rien. Elle a été engloutie par les eaux. Comme toute la côte. Comme tant de villes. Tant de villages. La mer a tout grignoté. Est entrée partout. Et elle continue. Dans trois ans – cinq maximum – c’est Angoulême qui aura disparu. Elle n’en est plus qu’à 15 kilomètres. Et après ? Mieux vaut n’y pas penser. Fermer les yeux sur les terrifiantes projections des spécialistes. Si on ne veut pas avoir le moral au trente-sixième dessous…
Je fais une véritable fixation sur La Rochelle. Qui est devenue pour moi un lieu mythique. Une sorte d’Atlantide. Où mes ancêtres ont vécu. Sont morts. Tout un passé auquel je n’ai pas accès. Auquel je n’aurai jamais accès. Il y a bien des photographies. Tant et plus. Je les conserve jalousement. Mais elles ne me parlent pas. Même celles de « LA MAISON » C’est froid. C’est lointain. Inhabité. Ça me reste étranger. Il me manque d’y avoir vécu. De m’y être réveillée. D’y avoir respiré les odeurs d’avant. D’y avoir, assise à ses pieds, écouté ma grand-mère me raconter des histoires. Tant d’autres choses encore. Je n’y ai rien. Aucun souvenir. Rien. Et pourtant j’y ai tout…
J’interroge Raliette. Elle y est allée, elle, là-bas ?
– Deux ou trois fois, oui… J’y suis passée…
– Et alors ?
– Et alors… c’était une belle ville, oui…
Qu’elle essaie, de son mieux, de me décrire. Ça ne m’avance pas à grand’chose… Ça ne m’avance à rien… Ce sont ses souvenirs à elle. Pas les miens.



Jeudi 14 janvier 2084


Marvine m’a triomphalement tendu mon laissez-passer…
– Et v’là l’affaire… Tu vois que ça n’a pas traîné…
– Je peux y aller quand ?
– Oh, mais quand tu veux… Demain si tu veux… Avec ça tu peux circuler dans tout le centre à ta guise…

Célienne m’a considérée d’un air rêveur…
– Tu vas en voir en vrai alors du coup… Comment ça doit faire drôle…

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