Mercredi 13 janvier 2084
Je
suis regonflée à bloc pour ma thèse. Je retrouve l’envie de m’y
consacrer à fond. Je l’avais perdue : je pressentais trop
bien, même si c’était confusément, que je faisais fausse route.
Grâce à Madame Xazert, j’y vois maintenant beaucoup plus clair.
Et, du coup, je prends les choses à bras le corps… J’ai repassé
une annonce. Beaucoup plus ciblée que la précédente :
« Étudiante, recherche pour thèse de doctorat, tous
témoignages sur les tentatives d’évasion des centres de
confinement – réussies ou non – dans les années
trente. »
Dans
la foulée, j’ai remis au propre les notes prises à la volée
– elle ne voulait pas que je l’enregistre – quand
j’ai rencontré Zaza il y a deux ans. Elle était déjà bien
malade et faisait d’énormes efforts pour réussir à s’exprimer.
Me raconter ce qu’elle savait. C’était entrecoupé
d’interminables quintes de toux. Qui l’exaspéraient. Et qui
l’ont manifestement empêchée de me dire tout ce qu’elle aurait
voulu. C’est moi qui ai fini par couper court à l’entretien :
je culpabilisais de contribuer à l’épuiser par mes questions.
Dont beaucoup sont dès lors restées en suspens. Or, il se trouve
que Zaza avait une petite-fille, Hédelice, dont elle a évoqué, à
deux ou trois reprises, l’existence devant moi. Je n’y avais pas,
sur le moment, attaché vraiment d’importance. Elle était de mon
âge. C’était une période qu’elle n’avait pas vécue. Pas
plus que moi. De quelle utilité aurait-elle pu m’être ?
Mais, à la réflexion, je me dis que ce n’est pas si sûr. Après
tout, avant de tomber malade, Zaza a parfaitement pu évoquer
longuement ses souvenirs devant elle… Alors oui… Retrouver
Hédelice… Ce qui ne devrait pas présenter de difficultés
particulières… Elle est forcément, comme nous toutes, fichée au
HGA4… La retrouver et, dans un premier temps, lui expédier le
double du « Journal de Roxane. » Après tout il y est
tant et tant question de Zaza qu’il la concerne aussi… Et cet
envoi constituera une excellente entrée en matière si, d’aventure,
elle a des révélations à me faire…
C’est
à La Rochelle – à proximité de La Rochelle – que
Roxane et Christopher ont passé leurs derniers jours ensemble. C’est
là qu’il est mort. Ou pratiquement. Dans la vieille maison
familiale. Il n’en reste rien. Elle a été engloutie par les
eaux. Comme toute la côte. Comme tant de villes. Tant de villages.
La mer a tout grignoté. Est entrée partout. Et elle continue. Dans
trois ans – cinq maximum – c’est Angoulême qui aura
disparu. Elle n’en est plus qu’à 15 kilomètres. Et après ?
Mieux vaut n’y pas penser. Fermer les yeux sur les terrifiantes
projections des spécialistes. Si on ne veut pas avoir le moral au
trente-sixième dessous…
Je
fais une véritable fixation sur La Rochelle. Qui est devenue pour
moi un lieu mythique. Une sorte d’Atlantide. Où mes ancêtres ont
vécu. Sont morts. Tout un passé auquel je n’ai pas accès. Auquel
je n’aurai jamais accès. Il y a bien des photographies. Tant et
plus. Je les conserve jalousement. Mais elles ne me parlent pas. Même
celles de « LA MAISON » C’est froid. C’est lointain.
Inhabité. Ça me reste étranger. Il me manque d’y avoir vécu. De
m’y être réveillée. D’y avoir respiré les odeurs d’avant.
D’y avoir, assise à ses pieds, écouté ma grand-mère me raconter
des histoires. Tant d’autres choses encore. Je n’y ai rien. Aucun
souvenir. Rien. Et pourtant j’y ai tout…
J’interroge
Raliette. Elle y est allée, elle, là-bas ?
– Deux
ou trois fois, oui… J’y suis passée…
– Et
alors ?
– Et
alors… c’était une belle ville, oui…
Qu’elle
essaie, de son mieux, de me décrire. Ça ne m’avance pas à
grand’chose… Ça ne m’avance à rien… Ce sont ses souvenirs à
elle. Pas les miens.
Jeudi 14 janvier 2084
Marvine
m’a triomphalement tendu mon laissez-passer…
– Et
v’là l’affaire… Tu vois que ça n’a pas traîné…
– Je
peux y aller quand ?
– Oh,
mais quand tu veux… Demain si tu veux… Avec ça tu peux circuler
dans tout le centre à ta guise…
Célienne
m’a considérée d’un air rêveur…
– Tu
vas en voir en vrai alors du coup… Comment ça doit faire drôle…
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