mardi 5 mai 2020

Hébergement d'urgence (8)


– Ça va ? Je vous dérange pas trop ?
Je ne l’avais pas entendue revenir de la réserve, tout occupé que j’étais à suivre des yeux une petite brunette vêtue d’un legging noir qui lui épousait les formes au plus près.
– Qu’est-ce que vous cherchez à voir ? Si elle a une culotte en dessous ? À mon avis, non. Mais ça demande confirmation.
Elle a jeté son portable sur la caisse.
– En attendant, c’est pas demain la veille que vous pourrez vous faire du bien en nous écoutant batifoler à côté, Baptiste et moi.
– Parce que ?
– Parce qu’il m’amuse. Parce que je sais plus ce que je dois penser. Parce que, chaque fois que je parle de se voir, il élude. C’est toujours : « Plus tard. J’ai du boulot par-dessus la tête. D’autres soucis. Et talali et talala. » Si j’insiste un peu, c’est : « Dès que je pourrai, je me pointe, c’est promis… » Sauf qu’il peut jamais. J’en ai marre, si vous saviez ce que j’en ai marre !
Une fille d’une vingtaine d’années est entrée. Ravissante. Mini jupe rose sautillant tant et plus sur les cuisses. Petit haut gris bien moulant.
– Décidément, aujourd’hui, vous êtes gâté, vous ! Vous aurez toujours ça pour vous mettre en forme. Pour y repenser le soir. Les clientes. Et puis vous m’avez moi quand même, là-haut. Même qu’il y soit pas, Baptiste. C’est pas rien, avouez ! Non ?
– Oh, si !
– À ce propos, tiens, d’ailleurs, je voulais vous dire… Je vois plus du tout les choses comme au début que j’étais chez vous, moi, mais alors là, plus du tout !
– C’est-à-dire ?
– Ben, quand je suis arrivée, ce que je voulais, comme je vous ai dit, c’était juste pas avoir à me cacher. Parce que c’était ce que j’avais toujours fait. Du moins jusqu’à ces deux nouveaux voisins, là. Parce qu’il y a que comme ça que je me sens bien. Toute nue. Et du moment que vous y voyiez pas d’inconvénient, que vous me faisiez pas de réflexion, le reste… Maintenant, que ça puisse vous faire de l’effet de me voir comme ça, ça me venait même pas à l’esprit. Parce que, pour moi, quelqu’un de votre âge, il y avait belle lurette que ça le concernait plus tout ça, qu’il avait plus d’envies, qu’il vivait dans ses souvenirs.
– À cinquante ans, tu sais… À peine cinquante ans…
– Oui, ben ça, j’ai vu ! Je pouvais pas y croire au début. J’y regardais, discrètement, à deux fois… Mais si ! Si ! Vous bandiez ! Et pas qu’un peu ! Comment ça me faisait bizarre ! Mais c’était pas si désagréable finalement ! Complètement différent d’avec les gars de mon âge. Parce qu’avec eux, je peux coucher si je veux. Tandis qu’avec vous… Ce qui fait que c’est pas du tout la même chose ce qu’on ressent, mais alors là pas du tout ! C’est même presque mieux dans un sens. Je saurais pas vraiment dire pourquoi. Peut-être parce qu’on couchera jamais justement. Non ? Qu’est-ce vous en pensez, vous ?
Rien. J’en pensais rien. Est-ce qu’il était vraiment nécessaire de vouloir toujours tout expliquer ?
– Oui, vous avez raison. On s’en fout. L’essentiel, c’est que maintenant les choses soient claires. Qu’on se sente complètement à l’aise.
Elle m’a décroché un grand sourire complice.
– Vous, pour bander. Et moi, pour vous faire bander.
C’est le moment que la fille en mini-jupe a choisi pour s’engouffrer dans la cabine juste en face de la caisse dont elle n’a pas – négligence, inadvertance ou volonté délibérée – tiré le rideau jusqu’au bout de la tringle. Il s’en fallait d’une bonne vingtaine de centimètres. La mini-jupe est tombée. En dessous c’était un string à fleurs mauves et roses offrant une vue imprenable sur deux adorables petites fesses délicieusement galbées.
– Même si je suis pas la seule à y arriver.
Elle a jeté un regard appuyé sur ma braguette.
La preuve ! Faut dire aussi qu’avec vous, c’est vraiment pas difficile…

* *
*

– Vous dormez pas ?
– Si ! Enfin non ! Qu’est-ce qu’il se passe ?
Elle s’est avancée jusqu’à mon lit. Elle était nue.
– J’ai eu Baptiste au téléphone. Il viendra demain soir.
– Enfin ! J’en suis ravi pour toi.
– Oui, mais vous savez pas ce qu’il veut ? Qu’on s’envoie en l’air en bas, au magasin.
– Ah !
– Soi-disant qu’il a envie de le faire là où je bosse. Dans ce climat de cabines d’essayage, de robes et de sous-vêtements. Il trouve ça très sensuel. Mais moi, je croirais plutôt que ce qui l’excite, c’est l’idée que, si jamais vous entendez du bruit, vous allez forcément descendre voir si on est pas en train de vous cambrioler et que, du coup, vous allez nous surprendre en pleine action.
– Maintenant que tu m’as mis au courant…
– Ben, il fallait, attendez ! Je tiens pas à me ramasser un coup de fusil, moi !
– T’es sûre que c’est la seule raison ?
– Évidemment ! Vous me connaissez…
– Justement ! Je te connais…

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