mardi 8 janvier 2019

Clorinde, ma colocataire (11)


Elle avait revêtu une délicieuse petite jupette verte dessus du genou. Très largement dessus du genou. Enfilé un petit haut assorti qui lui dessinait les seins au plus près. Et s’était fait une queue de cheval qui lui battait la nuque. Le maquillage était discret, tout en nuances et en harmonie avec sa tenue.
– Tu es en mode conquête ?
– Non, en mode climat subtilement sensuel.
– C’est particulièrement réussi. Tu es ravissante.
– Merci.
– Et tu vas où comme ça, si c’est pas indiscret ?
– Nulle part et partout. Me promener, par les rues, au hasard.
– Et cueillir des regards.
– Ben oui, vous savez bien. Vous venez avec moi ? Vous m’avez promis l’autre jour, vous vous rappelez ?
– Je viens.
– Et alors vous savez ce qui serait bien ? Ce serait que vous marchiez un peu derrière moi. Pas trop loin. Mais pas trop près non plus. Comme si on n’était pas ensemble. Vous verriez les réactions derrière mon dos comme ça. Et, après, vous me raconteriez. Seulement ceux dans vos âges. Ou même plus. Parce que ça m’intéresse pas, les jeunes. Du moins pour ça. C’est trop toujours pareil leurs réflexions. Et c’est d’un bête ! Non ? Ça vous dit pas ?
– Allez ! En route !

Elle plaisait. Ça ne faisait pas l’ombre d’un doute. On l’admirait. On la désirait. Le plus souvent discrètement. On détournait un peu la tête, on jetait un coup d’œil intéressé à son délicieux petit postérieur et on poursuivait sa route. Mais les regards pouvaient aussi se faire plus insistants, la balayer longuement de haut en bas et de bas en haut, à plusieurs reprises, avant de l’abandonner, manifestement à regret.
Un vieux monsieur m’a fait un clin d’œil et lancé un « Bonne chance » au passage. Il était à l’évidence persuadé que je la suivais et que j’allais monter à l’assaut.
Un autre, entre deux âges, s’est tourné en soupirant vers son compagnon…
– Il y a des jours où on regrette vraiment de plus être célibataire.
Un autre encore, la cinquantaine bien sonnée, s’est arrêté, a hésité une fraction de seconde et lui a résolument emboîté le pas. Il s’est rapproché, rapproché encore. A cheminé quelques instants à ses côtés, tenté d’engager la conversation.
Elle s’est retournée.
– Vous venez ? Qu’est-ce que vous faites ?
Le type s’est éclipsé.
– C’est pas qu’il avait l’air d’être spécialement lourd, mais bon, j’avais pas vraiment envie. Et puis, de toute façon, je sais comment ça se serait fini : il aurait voulu coucher. Et ça, c’est hors de question.
On a fait quelques pas.
– En attendant, qu’est-ce que j’en ai eu des regards ! Et des qui valaient sacrément le coup.
Et elle est tombée en arrêt devant un café aux grandes baies vitrées.
– On rentre boire un coup là-dedans ? Que vous me racontiez, vous, de ton côté…
L’arrière-salle était presque déserte : un étudiant plongé dans ses bouquins ; deux jeunes femmes qui discutaient à mi-voix ; une autre qui faisait des mots fléchés.
On s’est installés un peu à l’écart.
– Je vous écoute !
Elle m’a écouté. En suivant du regard, au-delà de moi, le mouvement de la rue.
Sa main a disparu sous la table. Ses yeux se sont embrumés. Son épaule et son coude ont été pris d’un léger tremblement.
– Continuez ! Continuez !
Qui s’est accentué.
Elle a fermé les yeux et, de sa main libre, a saisi la mienne.

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