Il
ne nous a fallu que quelques jours pour prendre notre vitesse de
croisière.
Elle
se levait vers huit heures.
– Mais
vous me réveillez, hein, si je m’oublie…
Surgissait,
tout ensommeillée, en petite tenue – ou carrément à poil,
c’était selon – dans la cuisine.
– Salut !
– Bien
dormi ?
Elle
ne répondait pas, se versait, en le faisant bien souvent déborder,
un grand bol de café noir qu’elle avalait d’un trait.
Et
elle filait à la salle de bains. D’où elle m’appelait presque
aussitôt.
– Venez
me parler ! Ça me réveillera. J’aime pas ça, rester toute
seule, n’importe comment.
Elle
se douchait. Et puis moi. Elle se séchait les cheveux, se maquillait
devant la glace au-dessus du lavabo. Tout en poussant de profonds
soupirs.
– Encore
une journée à tirer. C’est la purge ! Non, mais quelle idée
j’ai eue d’aller m’engouffrer là-dedans, moi ? Psycho. Tu
parles ! On te gave de certitudes soi-disant scientifiques qui
n’auront plus cours dans dix ans. Et que je te fais des nœuds au
cerveau. Et que je te m’écoute causer. Et tout ça pour quoi ?
Pour rien. T’auras pas de boulot à la sortie. Plus personne en
veut des psychologues. C’est passé de mode. Et on est des milliers
sur le marché.
Elle
me tendait la joue.
– Bon,
allez, courage, j’y vais.
Elle
rentrait vers cinq ou six heures. Quelquefois sept.
– Non
pas que j’aie passé tout ce temps-là à la fac, hein, je suis pas
maso. Non, j’ai traîné à droite, traîné à gauche. Discuté.
Fait quelques magasins. Passé un coup de fil à Emma. Et quand on se
téléphone, toutes les deux, en général, ça dure…
Il
était hors de question de descendre à la piscine. La température
ne s’y prêtait plus.
Alors
elle s’éclipsait dans sa chambre.
– Je
vais bosser.
Et
en ressortait dès qu’elle m’entendait m’agiter aux fourneaux.
– Je
vais pas vous laisser tout faire, attendez ! Et puis faudra voir
aussi pour les courses. Que je participe…
– Oui,
oh…
– Ah,
si, si ! Faut pas exagérer. De toute façon, ils accepteront
jamais ça, mes parents. Alors si vous voulez pas qu’ils me
rapatrient…
Le
meilleur moment de la journée, c’était le soir. Après le repas.
On s’installait au salon. On n’allumait pas la télé.
– C’est
pour les vieux, ça, la télé, vous trouvez pas ?
Elle
sirotait un limoncello. Moi, un Lavagulin. Et elle entrait en
confidences.
– Mine
de rien, il y en a quand même trois qui me tournent autour depuis la
rentrée. Et des pas mal du tout. Un surtout. Un petit blond. Un
belge. Dont je ferais bien mon quatre heures.
– Eh,
ben, vas-y ! Qu’est-ce t’attends ? Fonce !
– Ah,
ben non ! Non ! Surtout pas. Faut lui laisser le temps de
monter en pression au mec. De se demander s’il va parvenir à ses
fins ou pas. Ce n’en est que meilleur le jour où ça se fait. Pour
lui comme pour toi.
– C’est
toujours vous, les filles, qui menez le jeu en fait. À votre guise.
– Encore
heureux ! Manquerait plus que ça !