Alyssia
a jeté son sac sur la petite table basse, près de l’entrée.
– Jusque
chez elle je l’ai ramenée la Proserpine.
– Et ?
– Et,
à mon avis, il verra jamais le jour son bouquin. C’est juste un
prétexte.
– C’est
bien ce que je commençais aussi à soupçonner un peu.
– Ce
qu’il y a, en réalité, c’est que tu la fais bander.
– Moi !
– Oui.
Enfin, non. Ce qui l’excite, et pas qu’un peu, c’est que tu me
baises pas. Que tu baises personne, d’ailleurs. « Alors,
pratiquement, il est eunuque, quoi ! » Et t’aurais vu
comment ils brillaient ses yeux en disant ça ! De la folie !
J’ai quand même un peu douché son enthousiasme : tu baisais
pas, non, mais tu t’amusais malgré tout tant et plus tout seul.
J’étais bien placée pour le savoir. Elle a pris un air désolé…
« Mais faut pas accepter ça ! » Et elle s’est
lancée dans un long discours enflammé. Que les hommes, on leur
demandait qu’une chose, c’était de satisfaire les femmes. Et que
ceux qu’en étaient pas capables, il y avait aucune espèce de
raison pour qu’on les laisse avoir des compensations par ailleurs.
J’ai fait la moue. Ah, oui ? Et elle comptait le leur
interdire comment ? Elle ne s’est pas laissée démonter. Oh,
il y en avait plein des moyens. Mais le plus commode, et le plus
courant, c’était encore la cage de chasteté. « Vous la lui
enfermez bien à l’étroit là-dedans, vous gardez précieusement
la clef sur vous et le tour est joué. »
– Elle
a vraiment un problème, elle, hein !
– Non,
tu crois ?
– Tu
lui as répondu quoi ?
– Que
c’était une excellente idée. Et que j’allais mettre ses
conseils à exécution dans les plus brefs délais. Mais non, idiot !
Je lui ai rien dit du tout.
– Si
bien que si elle a envie d’imaginer que tu vas vraiment le faire…
– Eh
bien, elle l’imaginera. Elle peut bien penser ce qu’elle veut.
– Sauf
qu’elle va pas nous lâcher…
– On
y mettra bon ordre. Oh, mais on s’en fiche d’elle ! Dis-moi
plutôt ! Qu’est-ce tu ferais à ma place ?
– Pour ?
– Benjamin,
tiens, pardi ! Qu’est-ce tu veux d’autre ? Non, parce
que si je réagis pas, là, après le coup qu’il m’a fait au
Petit Castel, c’est la porte ouverte à tout ce qu’il veut. Il
va me piétiner allègrement. Ce sera de plus en plus souvent qu’il
me fera faux bond. Et moi je
serai là, à attendre son bon vouloir, comme une conne. Alors
non ! Non ! Je vais sûrement pas me laisser réduire à
ça. Il y en a d’autres des queues, si je veux. Et
des qui fonctionnent bien. C’est
pas ça qui manque…
– Ce
qu’il faudrait d’abord savoir, c’est ce qu’il en est au
juste. Peut-être qu’il a vraiment eu un empêchement.
– Tu
parles ! Il était avec une nana, oui. Qu’est-ce tu veux que
ce soit d’autre ? Une
pauvre conne qui lui a fait les yeux doux. Et lui, comme un imbécile,
il a sauté à pieds joints dans le piège. Bon,
mais bouge-toi, toi !
Reste pas planté là ! Fais
quelque chose ! Essaie de savoir. Va le cuisiner ! Ou
suis-le ! Je sais pas, moi, mais
trouve une solution !
Séverine
voulait encore me
voir.
– Bon,
ben ça y est !
Elle
tombait bien, elle. Elle tombait on ne peut mieux.
– Qu’est-ce
qui y est ?
– Sa
nouvelle copine à Benjamin, je sais qui c’est.
– Ah !
Et alors ?
– Une
petite jeune. Dix-neuf ans.
– Tant
qu’à faire…
– C’est
plutôt une bonne nouvelle
pour vous, non ?
– Si
on veut.
– Oh,
ben si, si !
Parce qu’il va avoir la
tête ailleurs maintenant. Avec
votre femme il va prendre ses
distances. De plus en plus.
Quant à moi…
Je vais peut-être vous
étonner, mais j’en ai
strictement plus
rien à battre.
– Effectivement,
c’est pour le moins inattendu.
– Trop,
c’est trop. Et il arrive un moment où il faut savoir dire stop. Il
est comme ça. Il changera pas. J’en ai pris mon parti. Et, pour
être tout-à-fait franche
avec vous, moi aussi, j’ai
rencontré quelqu’un. Un
monsieur courtois, affable, sensuel avec lequel je me sens bien. Avec
qui je partage une foule de choses…
Elle
a longuement suivi
des yeux un couple tendrement enlacé qui
passait sur le trottoir.
– Ce
que je voulais aussi vous dire, que vous ne soyez pas pris de court,
c’est que j’ai bien l’intention de jouer cartes sur table avec
Benjamin.
Dans les plus brefs délais. Je vous préviendrai
dès que ce sera fait.
– C’est-à-dire ?
Vous allez divorcer ?
– Oh,
non ! Non ! À moins qu’il le
veuille vraiment. Ce que je
ne crois pas. C’est pas le
genre à chercher les complications, Benjamin ! Quant à moi, je
préfère, et de loin, rester mariée. Mon ami ne l’est pas. Que je
divorce et, le connaissant, il va faire des pieds et des mains pour
me passer la bague au doigt. Ce
à quoi je ne tiens absolument pas. Du
moins pour le moment. Pour
toutes sortes de raisons. Et
vous, vous allez faire quoi ?
J’ai
haussé les épaules.
– Rien.
Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Je
vais attendre que la situation se décante d’elle-même.
– Ce
qui, à mon avis, ne saurait tarder. Vu les mails enflammés qu’il
adresse
à cette Camille, vu comment
elle est canon en plus, votre femme va pas faire long feu. Il n’aura
plus guère de temps à lui consacrer. Vous voulez voir à quoi elle
ressemble ?
– Pourquoi
pas ?
– Eh
bien vous vous rendez au centre Leclerc de
la zone commerciale. Elle
travaille au rayon « plats cuisinés ».
Elle
s’est levée.
– Et
tâchez de pas tomber amoureux d’elle. Ça compliquerait vraiment
trop la situation…
– Il
y a pas de risque.
Elle
a eu une petite moue dubitative.
– Oh,
alors ça !
Et
elle s’est éloignée sans se retourner.
Lui
aussi voulait me voir. Décidément !
– Sauf
que là, j’ai pas trop le temps. Je suis déjà en retard. Et c’est
un rendez-vous important. Qu’est-ce
qui t’arrive ?
– Oh,
rien. Rien de spécial. Enfin, si ! Qu’est-ce qu’elle a
Alyssia ? J’ai l’impression qu’elle me fait la gueule.
– Il
y a un peu de quoi, avoue, non ?
– Je
sais, oui. Je suis désolé. Elle
m’en veut beaucoup ?
– Ce
qu’il y a surtout, c’est qu’elle est persuadée qu’il y a une
nana derrière tout ça.
– Ça,
évidemment, j’aurais dû m’en douter.
– Et
c’est pas le cas ?
– Je
t’expliquerai. Mais alors,
pour la
petite serveuse, la fille du patron, elle m’a raconté des salades.
Histoire de se venger. C’est ça, hein ?
– Pas
vraiment, non.
– Ah,
oui ? Qu’est-ce qu’il y a eu ?
– Écoute,
faut vraiment que j’y aille, là. Mais moi aussi, je t’expliquerai.
Quand on sera au calme.