mardi 5 juin 2018

Alyssia, ma femme (12)


Pas question, pour elle, de zapper le bal du 14 juillet.
– Ah, non alors ! Tu te rends compte que depuis que j’ai 15 ans j’en ai pas loupé un ?
Et on a écumé, toute l’après-midi durant, les villages environnants. Jusqu’à ce qu’elle ait trouvé celui qui lui convenait. Qui lui en rappelait un autre. De quand elle passait ses vacances chez sa grand-mère.
– J’étais amoureuse cette année-là, mais amoureuse !
On y a un peu flâné. On y a dîné – simplement – dans un ancien moulin transformé en auberge. Et direction le théâtre des opérations.
Où on est arrivés les premiers. On a regardé les musiciens s’installer, s’accorder. La salle se remplir.

– T’as vu ça ?
J’avais vu, oui. Je voyais. Il l’invitait le petit jeune. La réinvitait. Il la lâchait pas.
Elle faisait tout un tas de va-et-vient entre lui et moi.
– Il m’amuse. Tu te rends compte qu’il a à peine vingt ans. Qu’il y a là tout un tas de filles de son âge mignonnes comme tout. Eh ben non ! Non. C’est après une vieille comme moi qu’il en a.
– Ce qui n’a pas l’air de te déplaire vraiment.
Elle a vidé son verre d’un trait.
– Bon, mais j’y retourne.
Dans ses bras. Où elle s’est abandonnée. De plus en plus. Il a posé ses mains au creux de ses reins. Sur ses fesses. Elle a laissé sa tête aller contre sa poitrine. Leurs lèvres se sont cherchées. Se sont jointes.
Elle est venue récupérer son sac. Ses yeux brillaient.
– M’attends pas ! Rentre à l’hôtel. Je te rejoindrai là-bas.
Et ils se sont éclipsés dans la nuit, main dans la main.

On a déjeuné dans la chambre.
– Alors ?
– Quoi « alors » ?
– C’était bien ?
Elle a souri.
– La curiosité est un vilain défaut.
Et consciencieusement fini de beurrer sa tartine.
– C’était plus que bien. Un garçon, c’est plein de sève à cet âge-là. Ça l’a dure de chez dure. Et ça rechigne pas à remettre le couvert. Non, et puis en plus…
– En plus ?
– Comment ça l’avait excité la situation. De me draguer, là, sous tes yeux. De m’emporter, comme un butin, à ton nez et à ta barbe.
– Je vois…
– Entre deux chevauchées, j’avais droit à un feu roulant de questions. T’étais de mèche ou bien alors c’était que t’avais pas ton mot à dire ? Que je faisais ce que je voulais ? Et c’était déjà arrivé avant ? Et t’allais faire quoi, quand on allait se retrouver ? Il y allait avoir explication ?
– Tu t’en es sortie comment ?
– Je lui ai raconté que c’était la réponse du berger à la bergère. Que tu m’avais trompée. Que je m’étais fait tirer l’oreille pour passer l’éponge. Pour ne pas demander le divorce. Et que je ne m’y étais finalement résolue qu’à la condition de te rendre la pareille, le jour où quelqu’un me taperait vraiment dans l’œil. Histoire que tu voies ce que ça faisait. Que ça te serve de leçon.
– Tu as décidément une imagination débordante. Et alors ?
– L’explication l’a convaincu. Il était enchanté d’être l’instrument de ma vengeance. Une vengeance que, pour sa part, il trouvait que je ne poussais pas assez loin. J’aurais dû t’imposer le spectacle de mes ébats avec lui.
– Ben, voyons !
– J’ai trouvé l’idée excellente. Et suggéré que ça pouvait n’être que partie remise. De toute façon, j’étais en position de force. Si on divorçait, t’allais y laisser sacrément des plumes. Tu étais obligé d’en passer par où je voulais. Il s’est fait pressant. « Oh, oui, va ! J’aimerais trop ça devant lui ! On le fera, Tu veux bien ? »
– Et tu as accepté.
– J’ai pas dit oui. Mais j’ai pas non plus dit non. Je voulais d’abord t’en parler.
– La vraie question, c’est : « Est-ce que ça te tente, toi ? »
– Je suis partagée. Bien sûr que j’ai envie de t’avoir là, à côté, pendant. De te regarder me regarder dans les bras d’un autre. De plus en plus. Je vais pas te mentir. Mais je m’étais faite à l’idée que ce serait avec Benjamin. Et Benjamin, comme c’est parti, ben, c’est pas demain la veille.
– T’as eu des nouvelles ?
– Non, justement. Et c’est bien ce qui m’inquiète. Il prend ses distances. Je sens de plus en plus qu’il prend ses distances. Il y en a une autre. Plus j’y réfléchis et plus je suis sûre qu’il y en a une autre.
Et elle s’est enfuie dans la salle de bains. Pour que je la voie pas pleurer.

Elle en est ressortie toute pimpante, ravissante dans sa petite robe rose.
– S’il s’imagine, Benjamin, que tout va tourner, pour moi, autour de sa petite personne, eh bien il a tout faux.
– Tu vas faire quoi ?
– Pour commencer, un petit tour au café, là-bas. Vérifier si le barman est toujours dans d’aussi bonnes dispositions à mon égard. Après, j’aviserai. En fonction de… Bon, eh bien j’y vais.
Elle s’est retournée sur le pas de la porte.
– Je te propose pas de m’accompagner. Tu comprends bien que j’ai besoin d’avoir les coudées franches.
Et elle m’a envoyé un baiser, du bout des doigts.

Les bords de la piscine étaient déserts. À l’exception d’une jeune femme en maillot noir, couchée sur le ventre, qui paraissait dormir. Je me suis installé de l’autre côté, juste en face et je l’ai regardée. Scrutée. Elle était comment là-dessous ? J’aurais tant aimé savoir. Voir. Est-ce qu’elle avait des lèvres exubérantes qui s’affichaient orgueilleusement à l’extérieur ou bien est-ce qu’elles restaient bien sagement confinées à l’abri de leurs grandes sœurs ? Et la toison ? Elle était là ou elle l’avait éliminée ? Complètement ou seulement le pourtour du fendu ? Et la couleur ? C’était quoi sa couleur ? Parce que celle des cheveux, avec les femmes, on pouvait jamais savoir.
Elle s’est redressée. Assise. S’est mise à feuilleter une revue.
Je lui ai voluptueusement palpé les seins. Du bout des yeux. Les ai amoureusement remodelés. Elle se serait bien fichue de moi, Alyssia. « Ah, ça, pour te repaître des nanas de loin, t’es très fort, mais pour passer à l’acte ! » Oui, ben alors là, ce coup-ci, elle allait voir ce qu’elle allait voir… Je me suis levé. Approché.
– Bonjour… Excusez-moi, mais, de là-bas, j’ai vu que vous aviez tout un tas de revues. Ça vous ennuierait de m’en prêter une ?
– Pas du tout, non ! Allez-y ! Servez-vous ! Et elle a poussé le paquet vers moi. Cinq ou six magazines féminins au milieu desquels j’ai déniché un petit livret consacré à l’arrière-pays niçois.
– Vous l’avez lu ?
– Parcouru.
– Et alors ?
– Franchement, ça n’apporte pas grand-chose. C’est du basique. Vu, revu et rerevu.
– La région recèle pourtant une foule de trésors subtilement discrets.
– Ah, ça, c’est sûr !
Il y a eu un petit trottinement derrière moi, sur le dallage.
– Maman ! Maman ! Ça y est ! On a déjeuné.
Deux gamins. Un garçon et une fille. Et, un peu plus loin derrière, le père.
Je me suis discrètement éclipsé.

10 commentaires:

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    1. Lui aussi! ;) Mais ce n'est peut-être que partie remise.
      Peut-être…

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  2. Elle ne le ménage pas quand-même . Et il a l'air de s'en taper royalement.

    Après tout, si ça lui convient ....

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    1. Il faut bien que, d'une façon ou d'une autre, ça lui convienne. Et, d'un autre côté, pas du tout.

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    2. Si ça ne lui convenait pas, il serait parti. Non?

      Elle passe maintenant son temps à baiser avec d'autres. Le soir, la nuit, l'après-midi. Ils ne se voient qu'au petit dej.

      Il pourrait prendre une autre chambre. Elle ne s'en rendrait pas compte.

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    3. Ils passent quand même beaucoup de temps ensemble et ils sont psychologiquement très présents l'un à l'autre.

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  3. Oh bah moi aussi j'y ai cru...

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    1. Il y a encore 20 épisodes. Alors, il peut s'en passer des choses!

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  4. 20 épisodes. Mais comment faites-vous ?

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    1. 20 épisodes qui sont bouclés et programmés, oui. Comme la fin reste relativement ouverte, je ne sais pas encore s'il y aura ultérieurement une suite ou pas. Pour l'heure, j'ai commencé une autre histoire qui viendra, après celle-ci, prendre place sur ce blog.

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