mardi 17 avril 2018

Alyssia, ma femme (5)


Le mercredi, elle m’a appelé. Sur le coup de midi.
– Alex ? Je voulais te dire… Ne m’attends pas ce soir. Benjamin a une opportunité. Alors on la saisit.
– Tu rentres plus tard ou tu rentres pas du tout ?
– Pas du tout. On va rester dormir là-bas.
– Au petit castel ?
– Au petit castel, oui. Pourquoi ?
– Non. Pour rien. Vous auriez pu avoir envie de changer.
– Ben, non, tu vois ! Dis-moi…
– Oui ?
– Toi, tu… ?
– Je, quoi ?
– Non. Rien. Rien.

Elle est arrivée toute seule. La première. En chantonnant. S’est aussitôt précipitée dans la salle de bains. Quand elle en est sortie, trois quarts d’heure plus tard, elle chantait toujours.
Il a presque aussitôt surgi. Un long silence. Et puis…
– Qu’est-ce t’avais de si important à me dire ?
– J’avais envie de te voir. Tellement.
– De me voir ou de te prendre un bon petit coup de queue ?
– Benjie…
– C’est pas ça, peut-être ?
– Aussi, oui, mais pas seulement.
– C’est loin vendredi. Alors pas question d’attendre jusque là. Il te fallait ta dose. De toute urgence. Seulement moi, je sais pas…
– Tu sais pas ? Tu sais pas quoi ?
– Si j’ai envie.
– J’m’en fous ! Je vais me servir sur la bête. Alors là !
– Pas touche.
– Oh, Benjie ! Laisse-moi la regarder au moins.
– Mais alors juste regarder.
– Promis.
Elle a ri. De son petit rire grêle haut perché.
– Elle pointe. Et pas qu’un peu. Elle pointe vers là où elle veut aller. Hein, ma chérie, que tu veux aller leur rendre visite aux petits replis d’amour d’Alyssia ? Ah, tu vois, tu opines du chef. Oui. Oui. Et encore oui. Tu demandes que ça. Bon, ben tu sais pas, le mieux ? On s’occupe pas de lui. C’est un rabat-joie. Un vrai bonnet de nuit. On fait notre petite affaire toutes les deux. En douce. Ni vu ni connu.
– T’as le droit de rêver.
– Toi, tu te tais. Elle fait ce qu’elle veut. Elle a pas de comptes à te rendre. Fiche-nous la paix. On cause. Qu’est-ce qu’on disait ? Ah, oui ! Il a pas forcément tort, remarque ! Parce que, pour être honnête, c’est surtout pour toi que je suis venue. Et même, faut bien l’avouer, que pour toi. Pour que tu me remplisses bien. Que je te sente bouger en moi. T’y répandre. Depuis dimanche je pense qu’à ça. À écarter les cuisses, à t’accueillir et à me refermer sur toi. Si tu savais ce que c’est bon, par moments, de n’être rien d’autre qu’une chatte qui se fait bourrer…
Elle s’est tue. Un long silence.
– Enfile-moi, Benjie ! Enfile-moi !
Elle a presque tout de suite gémi.
– Elle me rend folle, ta bite. Qu’elle est bonne ! Oh, qu’elle est bonne.
Son plaisir a déferlé. En grandes vagues indéfiniment ressuscitées.
Encore le silence. Des chuchotements. Un dernier feulement de satisfaction.
– Je suis repue. Et je crève de faim.
– Ça, ça devrait pouvoir s’arranger. Et sur le champ.

Elle en brûlait d’envie, mais, le lendemain, quand elle est rentrée, elle ne m’a pas posé tout de suite la question. Elle est d’abord allée cueillir du lilas au jardin. Elle a ensuite vérifié ses comptes, programmé un film, remisé au grenier un carton de vêtements d’hiver.
C’est à table qu’elle s’est lancée.
– J’aurais mieux fait de te demander hier.
– Me demander quoi ?
– Si tu serais là, dans la chambre, à côté. J’ai pas arrêté de me poser la question.
– Ce qui a pas eu l’air de bien te déranger.
– Donc, t’étais là. J’en étais sûre.
– Pour donner, ça a donné. Trois fois vous avez remis le couvert. Presque quatre.
– Oui, oh, ben ça, avec lui, n’importe comment, c’était couru d’avance. Il me met dans de ces états !
– Je vois ça. J’entends plutôt.
– Je suis désolée, mais…
– T’as pas à l’être. Tu l’es pas vraiment d’ailleurs.
– Ce qu’il y a surtout, c’est que ça m’émerveille. Ça arrête pas de m’émerveiller. Parce que c’est vraiment le genre de type dont j’étais persuadée, quand j’étais ado, qu’il n’était pas pour moi. Qu’il ne serait jamais pour moi. Que c’était pas la peine que je lève les yeux dessus. Il me regarderait même pas. Et c’était vrai : j’étais transparente. Mes copines, elles, du moins certaines d’entre elles, elles pouvaient tout se permettre. Viser haut. Très haut. Les plus beaux, les plus virils, quand elles avaient décidé de les avoir, elles les avaient. Et ça leur paraissait tout naturel. Qu’est-ce que je pouvais les envier ! Combien de fois j’ai rêvé que le Lionel de Serena, c’était moi qu’il serrait dans ses bras. Combien de fois, en imagination, je me suis fièrement affichée avec lui ! Dans les bars. Au cinéma. Partout. Et tant d’autres. Christophe, qui les avait toutes à ses pieds. Cyrille, qui était beau, mais beau ! Que c’était pas possible d’être beau comme ça. Qui s’est tapé pratiquement toutes les filles de Terminale C, mais pas moi. Moi, je n’existais pas. Je n’existais jamais pour les garçons. Du moins ceux qui comptaient. Sauf dans mes rêves.
– Tu as existé pour moi.
– Bien sûr ! Tu étais si gentil. Si prévenant. Si attentif au moindre de mes désirs. Comment ne pas s’en sentir profondément émue ? Valorisée ? Et puis, à toi j’avais droit. Tu étais accessible. Je ne l’ai jamais regretté. Seulement…
– Seulement c’est si fascinant l’inaccessible.
– Voilà, oui. Et j’ai continué à jouer. À essayer de me faire croire. Sur Internet. Tu ne t’en es jamais rendu compte. C’était mon jardin secret. Pendant des années et des années je me suis bercée d’illusions. C’est tellement facile, comme ça, de loin. Tout est possible. Du moment qu’on ne cherche pas à se confronter au réel. Ah, j’en ai séduit des hommes improbables ! Qui finissaient presque toujours, évidemment, par solliciter une rencontre « en vrai ». Je tergiversais. J’éludais. Je savais trop bien comment ça allait tourner. Et ils se lassaient. Les uns après les autres.
– Mais pas Benjamin.
– Pas Benjamin, non. Qui a insisté. Qui a fini par me convaincre, à force de patience, d’accepter un rendez-vous auquel je me suis rendue la peur au ventre. Battue d’avance. Mais… Mais ses yeux. Mais son désir. D’un homme comme lui ? Pour moi ? C’était impossible. Invraisemblable. Et pourtant, si ! Je n’en revenais pas. J’existais pour lui. Pour un homme comme lui. Il me faisait être celle que j’avais toujours voulu être. Celle que j’avais cru que je ne serais jamais. Et c’est chaque fois le même miracle. Ses yeux. Sa queue qui me veut. Qui m’exige. Moi ! Tu te rends compte ? Moi. Je n’en reviens pas. Je n’en reviendrai jamais.

19 commentaires:

  1. C'est un récit sur l'humiliation d'un mari trompé ?

    L'amant qui a toutes les qualités que cherche la femme. Et le mari qui n'est là que pour apporter la sécurité du foyer.

    Il est sympa quand même, amoureux mais très c.. de se laisser humilier comme ça.

    Il va passer du statut de mari à celui de d'ami?

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  2. Ou, peut-être, dans le cas présent, un récit sur le plaisir trouble que peut parfois éprouver un homme à être trompé.

    Quant au statut qui sera ultérieurement le sien, je préfère, pour ne pas spoiler, comme on dit maintenant, n'en rien dire pour le moment.

    Merci pour votre lecture et votre commentaire.

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  3. Il est trompé certes, mais aussi rabaissé. Il est gentil mais l'amant est bien mieux.

    On en arrive à se demander pourquoi elle ne le quitte pas.

    Elle a trouvé son rêve, pourquoi rester avec son mari qui n'a visiblement été là qu'en attendant mieux.

    Elle lui dit l'aimer. Va t'elle le prouver?

    Combien d'épisodes prévus ?

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  4. Je crois qu'ils sont l'un et l'autre - le mari et l'amant - dans deux registres différents et qu'elle a besoin des deux. Elle le dit d'ailleurs clairement. Avec son mari, elle peut partager une certaine complicité culturelle qu'elle ne trouve pas avec Benjamin.

    Je soupçonne le mari de flirter, quant à lui, avec les frontières de l'asexualité. Ressentir l'orgasme ne semble pas être sa priorité. (ce qui a probablement contribué à pousser Alyssia dans les bras de Benjamin). Son plaisir, il le trouve ailleurs. Sans doute en partie (mais pas seulement) dans une certaine forme de voyeurisme tant et si bien que voir sa femme avec un autre le satisferait davantage que d'avoir des rapports avec elle. Et peut-être deviendra-t-il plus clair, à ses propres yeux, au fil des épisodes.

    J'avoue éprouver une certaine fascination pour ces personnages qui sortent quelque peu des sentiers battus et avoir envie de faire progressivement sortir ce qu'il y a derrière. Qui me surprend moi-même au fur et à mesure que le récit avance.

    S'agissant du nombre d'épisodes, 23 sont déjà rédigés. J'en prévois 32 (à quelque chose près: ce peut être un peu plus ou un peu moins.)

    En tout cas, c'est agréable d'avoir l'occasion de dialoguer sur un texte qui, par la force des choses, est rédigé dans la solitude.

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    1. C'est vrai qu'on a de la peine pour son mari. Et elle parait tellement inconsciente du mal qu'elle peut faire. Mais avec vous, je m'attends à tout. Donc, patience hein ?

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    2. Elle est effectivement, pour l'instant, totalement indifférente au mal qu'elle peut faire. À moins qu'elle n'ait pas conscience de faire quelque mal que ce soit. C'est un peu, au départ, le parti pris de ce blog. La volonté, pour certaines femmes, de s'affirmer envers et contre tout (tous). Et les histoires suivantes, pour peu que je parvienne à les écrire, iront encore plus loin dans cette voie.
      Cela étant, vous avez raison: patience. Tant de choses peuvent encore se produire. ;)

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    3. On peut dialoguer ailleurs ?

      Je t'ai envoyé un mail.

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  5. Donc, c'est bien ça, il va devenir l'ami de sa femme .

    C'est triste .

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    1. Le complice, plutôt. Et lui ne considère peut-être pas cela comme triste. Pour l'instant, en tout cas, c'est une situation qui ne semble pas vraiment le perturber. Mais là encore, il faut attendre. La situation peut parfaitement se retourner. Complètement.

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  6. Je reste à me poser une question en ce qui concerne Abyssinie.

    Va t'elle prouver à son mari qu'elle l'aime ? Sans aucune ambiguïté.

    Parce que pour l'instant,il y a certes de la tendresse pour lui, mais guère plus. Il semble y avoir plus de sentiments envers son amant.

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    1. Et si, au bout du compte, la situation qu'ils vivent actuellement était le passage obligé par lequel vont se dévoiler des sentiments extrêmement forts entre Alyssia et Alex? Le chemin, pour eux, est encore long.

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  7. Le seul moyen serait d'evincer l'amant. Pour le remplacer par d'autres puisqu'il semble qu'Alex soit en fait en passe de se découvrir candauliste.

    Mais l'amant prend trop de place pour l'instant.

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    1. Il y a 32 épisodes. Et on n'en est qu'au 5ème. Je vais ai envoyé un mail.

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  8. Il ne faut pas être triste, tout ça c'est imaginaire, c'est toujours plein d'idées nouvelles avec François-Fabien, il faut faire comme moi, attendre et dévorer <3

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  9. Pour moi, le plaisir, quand j'écris, c'est de ne pas savoir vraiment où je vais. Ça se dessine au fur et à mesure que j'avance. Ça prend tournure et puis, quelquefois, il y a de brusques changements de cap. Au fond je découvre tout autant que le lecteur. La différence, c'est que j'ai un peu d'avance.

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