mercredi 24 juin 2015

Journal d'Amerina (13)

Samedi 23 janvier 2084


J’ai invité Hédelice à venir passer le week-end à la maison. Les filles tenaient absolument à faire sa connaissance…
– Depuis le temps que tu nous parles d’elle ! Et Hédelice par ci… Et Hédelice par là…

Il a évidemment été très vite question du Journal de Roxane. De l’épidémie de 2034. De ce que nos grands-mères, à elle et à moi, avaient alors traversé ensemble comme épreuves. De ma thèse qui, à vrai dire, n’avance pas beaucoup. Pas aussi vite, en tout cas, que je le souhaiterais. Du « pèlerinage » que nous comptions aller faire toutes les deux à Collioure…
– À Collioure ? Mais il y a belle lurette qu’elle a été engloutie sous les eaux Collioure…
Hédelice s’est décomposée…
– Engloutie ? Collioure ?
– Ben, bien sûr… Comme toute la côte…
Elle n’avait pas réalisé. Elle n’avait pas voulu savoir. Pour elle, là-bas, tout était resté comme avant… Comme elle aurait voulu que ce soit… « Ça » n’avait pas eu lieu… Et moi, ben je ne m’étais pas vraiment posé la question… Elle paraissait si sûre d’elle…
– Oh, mais je vous y emmènerai, moi…
Raliette. Avec sa machine à visiter le passé. Dont elle a voulu, dans la foulée, nous faire la démonstration.
– La maison a plus d’un siècle… Des tas de gens y ont vécu… C’est l’endroit idéal…

Ça a eu du mal à se caler. Il y a eu des visages qui se sont tout aussitôt figés. Comme étonnés de se trouver là. Ça a encore hésité. Bégayé. Et puis il y a eu des femmes et des hommes en train de manger, assis autour d’une grande table…
– Mais c’est ici ! C’est la pièce où on est…
Raliette a ri…
– Évidemment que c’est ici… Où veux-tu que ce soit ?
On reconnaissait. À cause de dehors à travers la porte-fenêtre : la vasque avec la grande statue de Vénus. Qui était déjà là. Et le petit muret à droite. Et, en même temps, on reconnaissait pas… Il y avait trop de différences : des tas de choses en plus. Une haie Des arbres. Des massifs de fleurs. Et des tas de choses en moins. La table Le jeu de Wollmo. Le remblai à gauche. Pareil à l’intérieur : ça avait quelque chose d’à la fois tout à fait familier et de résolument étranger…
– C’était quand ?
– Je me suis positionnée sur mai 33… Mais je peux avancer si tu veux… Ou reculer…
– Non… Attends ! Plus tard… Qu’on écoute ce qu’ils disent…
Ils fêtaient quelque chose… Un diplôme de Mathématiques… Que venait d’avoir le plus jeune… Qui allait lui permettre d’enseigner…
– Le pauvre ! En 33 ça lui aura servi à rien… Parce que l’année suivante…
– Mais c’est qui tous ces gens ?
C’est Hédelice qui m’a répondu…
– Les frères de Roxane, Amerina… Et ses parents… Forcément…
– C’est trop fou, ça… C’est complètement dingue… Mais elle est où, elle ?
Et ça a été comme si elle avait entendu… La porte s’est ouverte… Elle a jeté son sac sur la petite table basse…
– Désolée ! Ça a duré plus longtemps que prévu…
– C’est elle ! Roxane… C’est toi !
Et j’ai éclaté en sanglots…
Raliette a proposé d’arrêter…
– Non ! Laisse ! S’il te plaît ! Laisse-la-moi !

Célienne a voulu venir dormir avec moi…
– T’es tellement triste !
– Mais je suis pas triste… Au contraire… J’ai jamais été aussi heureuse…
– Ça fait rien… Je viens quand même…
Peut-être qu’Hédelice pouvait dormir dans son lit alors ? Plutôt que sur le canapé…
– Elle ? Oui, ben alors là sûrement pas ! Je peux pas la voir cette fille… Elle est fausse… Elle te fera du mal… Je suis sûre qu’elle te fera du mal…
Elle a cherché mes lèvres…
– Laisse-moi faire ! Laisse-toi faire ! J’ai envie de ton plaisir… Tellement…
Un plaisir qu’elle est savamment allée chercher… Qu’elle m’a fait proclamer à gorge déployée…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire