lundi 8 juin 2015

Journal d'Amerina (12)

Jeudi 21 janvier 2084


– Ça te poserait un problème si je redescendais au labo avec toi ?
Marvine m’a jeté un regard complice…
– Mais c’est que t’y prendrais goût !
– Oui… Enfin non… C’est pas ça… C’est que, pour ma thèse, j’ai besoin de comprendre… Parce que la décision de leur faire donner leur sperme aux hommes, c’est à l’époque sur laquelle je travaille qu’elle a été prise… Comment est-ce qu’ils ont vécu ça ? Est-ce qu’il y a pu y avoir alors un rapport entre cette pratique et la volonté, pour certains d’entre eux, de s’enfuir des centres ? C’est ce que j’aimerais déterminer… En interrogeant et en regardant faire ceux d’aujourd’hui… Ça m’apportera peut-être rien… Mais j’aurai au moins essayé…

Elle a poussé un long soupir exaspéré.
– Ben, ça va être gai ce matin… C’est mou, tout ça… C’est mou…
Ça manquait effectivement singulièrement d’entrain… Ils avaient beau s’acharner, faire preuve de la meilleure volonté du monde, ça refusait carrément de se dresser… Ou bien, quand ça y parvenait, ça retombait presque tout de suite… Tant et si bien qu’au bout de vingt minutes aucun des six premiers n’avait réussi à parvenir à ses fins…
– Et quand ça commence comme ça, tu peux être tranquille que, derrière, les suivants, ça va être copie conforme… On en a pour des heures…
Ce qui a effectivement été le cas…
– Peut-être qu’ils sont trop souvent sollicités ?
– Tu parles ! À trois jours de récupération ils ont droit… Systématiquement… Au minimum… C’est le réglement… Alors tu vas pas me dire… À leur âge, c’est largement suffisant… Non, je sais ce qu’il y a, moi ! À chaque séance, sur la soixantaine que je dois faire produire, j’en ai toujours quelques-uns qui éprouvent les pires difficultés à parvenir à leurs fins… C’est, le plus souvent, que la nuit précédente, ils sont allés faire un tour dans leur imagination et qu’ils s’y sont épuisés sans souci du lendemain… Tant qu’il y en a que cinq ou six de concernés, je ferme les yeux… Et je fais ce qu’il faut pour qu’ils finissent par être opérationnels malgré tout… Par contre, quand ça prend des proportions, quand ça se généralise, comme ça a l’air de vouloir être le cas aujourd’hui, je suis tenue de faire un rapport… C’est qu’il se passe quelque chose en sous-main… Que des images ou des documents circulent qui les excitent plus que de raison… Par exemple… Ou que ça les a brusquement attrapés de faire des trucs entre eux… Quoi qu’il en soit, il faut se dépêcher de donner un coup d’arrêt… Pour qu’ils se recentrent sur l’essentiel… Et que la qualité du sperme qu’ils nous fournissent ne finisse pas par en souffrir… Bon, mais trêve de bavardages… En attendant, il va falloir que je paye de ma personne, moi !
– Tu veux que je t’aide ?
– Ben, c’est pas de refus… Ça me fera gagner du temps…

J’avais à peine le temps de la leur attraper que… hop ! Ça me gonflait dans la main. Ça y tressautait…
– Regarde, Marvine ! Regarde ! Tous, hein ! Pratiquement tous !
Ça la faisait rire… De bon cœur…
– Mais oui ! C’est normal… C’est que t’as pas l’habitude…
Ah, ça, pour pas avoir l’habitude, sûr que j’avais pas l’habitude Jamais j’en avais approché en vrai des hommes, moi, avant. Jamais j’en avais touché. Mais c’était trop rigolo. Comme elle je leur faisais. Je la leur prenais. Je faisais monter et descendre. Vite. De plus en plus vite. Et ça sortait. Des fois il y en avait beaucoup. Des fois presque pas.

– Bon, ben voilà… On a fini, on dirait… Il y en a plus…
– Oui… Et heureusement que t’étais là… J’y aurais passé la matinée sinon…
– En tout cas je me suis bien amusée, moi !
– Parce que c’était la première fois… Mais quand ça devient la routine…
– Tu sais le truc que je me demandais, pendant que je leur faisais ? C’est si t’avais jamais eu envie d’en avoir un en toi… Comme dans le temps… Pour voir ce qu’on ressent…
– C’est rigoureusement interdit…
– Je le sais bien que c’est interdit… On se demande bien pourquoi d’ailleurs…
– Pourquoi ? Mais parce qu’on ne veut justement pas, en haut lieu, qu’on le sache ce qu’on ressent, tiens, pardi ! Ça remettrait beaucoup trop de choses en question… On ne peut éprouver de plaisir que dans les bras d’une femme… C’est ce dont on s’est employé à nous convaincre depuis des dizaines d’années… On y est parvenu… On en est toutes résolument convaincues…Et pour cause : on n’a jamais rien connu d’autre… Seulement imagine que certaines d’entre nous se mettent à découvrir que ce qu’on éprouve dans les bras d’un homme, c’est finalement pas si mal que ça… Que ça peut même parfois largement valoir ce qu’on éprouve dans ceux d’une femme… Qu’ils étaient pas forcément si arriérés que ça nos ancêtres du début du siècle… Elles vont en parler autour d’elles… Ça va faire tache d’huile… De plus en plus de femmes vont avoir envie d’y goûter… Finir par exiger que, d’une façon ou d’une autre, des hommes – de plus en plus d’hommes – soient mis à leur disposition… C’est tout l’ordre social sur lequel nos dirigeantes ont assis leur pouvoir qui risque d’en être ébranlé… Parce que le contrôle de la natalité va progressivement leur échapper… Chacune se voudra libre de ses maternités… De leur nombre… De leur moment… Du sexe de l’enfant… À partir de là, c’est tout le système qui va se détricoter… Cela ne doit se produire à aucun prix… C’est vital pour elles…
– Il est pourtant question qu’elles les laissent sortir…
– Parce qu’elles n’ont pas le choix… Parce que l’opinion publique tolère de moins en moins qu’à partir de trente ans ils vivent aux frais de la princesse sans rendre à la société quelque service que ce soit… Parce que ça rue dans les brancards Qu’on veut qu’ils soient mis au travail…Mais t’inquiète pas qu’elles vont prendre les mesures nécessaires pour rendre tout rapprochement impossible entre hommes et femmes… La meilleure solution, pour elles, serait évidemment qu’ils soient, d’une façon ou d’une autre, castrés… Le problème ne se poserait plus… Mais des voix s’élèvent, au nom de la morale, contre une telle perspective… Elles auront toujours la possibilité de se rabattre sur une mesure tout aussi radicale, malgré les apparences… Elle consisterait à les lâcher comme ça, du jour au lendemain, dans la nature… Sans la moindre précaution… Sans la moindre préparation… On en parlait l’autre jour, à la maison… C’est la catastrophe assurée… Ils deviendraient complètement fous au milieu de toutes ces femmes… Ils se jetteraient dessus comme la misère sur le monde… Et elles auraient beau jeu de les renvoyer aussitôt d’où ils viennent… Et pour un bon moment…
– Oui… Oui… Mais avec tout ça tu n’as pas répondu à ma question… Tu m’as toujours pas dit si ça te tentait d’en avoir un en toi un jour… Ou si tu l’avais déjà fait…
– Oh, toi… Ça commence à te travailler, ça, hein !
– Mais non, mais…
– Bien sûr que si !

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