Mercredi 20 janvier 2084
Raliette
s’est, d’autorité, emparée des fourneaux.
– Allez,
c’est moi qui cuisine ce soir…
Malgré
les protestations de Célienne.
– J’avais
prévu un truc…
– Oui,
ben tu nous le feras demain… Ça va pas s’abîmer…
La
gastronomie fait l’objet, entre elles deux, d’interminables
débats et de fréquentes polémiques. Sans que jamais cela dégénère
pour autant… Pour Raliette qui a connu les temps d’avant, il
faut, quand on cuisine, s’efforcer de rester au plus près des
saveurs « naturelles ». Même s’il n’existe plus – et
depuis belle lurette – de fraises, de melons ou de petits
pois, il est indispensable d’en restituer le goût, puisqu’on en
a la possibilité, dans nos préparations culinaires actuelles.
D’abord parce que, selon elle, c’est « bien meilleur ».
Et ensuite parce que, si nous ne les conservons pas, c’est tout un
pas de notre histoire qui sera à tout jamais perdu. Ce dont
Célienne, elle, se soucie comme d’une guigne…
– Qu’est-ce
que je m’en fiche, moi, du goût que pouvaient avoir les cerises ou
les tomates dans le temps ! Vous étiez obligés de faire avec.
Oui. Bon. D’accord. Mais aujourd’hui qu’on fabrique
synthétiquement tout ce dont on se nourrit, je vois vraiment pas
pourquoi il faudrait qu’on reste prisonnières de ce qu’a produit
la nature il y a des milliers d’années. À nous d’inventer ce
qui nous correspond le mieux. Ce qui nous fera vraiment envie. Même
si c’est complètement artificiel…
– Alors ?
C’est bon ?
Oui,
c’était bon. Oui. Marvine et moi, on se garde bien de prendre
parti. On apprécie tout autant la cuisine de l’une que la cuisine
de l’autre. Et, à vrai dire, ça nous est un peu égal tout ça.
Même si on ne déteste pas passer à table, on n’attache pas non
plus une importance démesurée à ce qu’on mange…
– Et
toi, Célienne ?
– C’est
pas mauvais… Même si…
Bon,
mais c’était pas tout ça… Elle avait quelque chose à nous dire
Raliette.
– Tant
qu’on est toutes les quatre là… Que vous soyez parmi les
premières à savoir…
Ah,
oui ? Et c’était quoi ?
C’était
que ça y était. Qu’elles avaient trouvé. Que les premières
expériences étaient tout-à-fait concluantes. Et profondément
émouvantes.
– Vous
imaginez ? Assister en direct, comme si on y était, à
l’assassinat de Jules César… À la prise de la Bastille… À la
bataille de Waterloo… À tout ce qu’on veut… On n’a que
l’embarras du choix…
Mais
comment c’était possible, ça ?
– Techniquement,
c’est un peu compliqué… Disons, pour faire simple, que tout
corps émet à tout moment des ondes – les fameuses ondes
PG332 – qui sont indestructibles… Dès lors qu’elles ont
été émises, elles sont là à tout jamais… Tout au plus le temps
en modifie-t-il la structure… Dès l’instant où on a compris
quel mécanisme était à l’œuvre et comment il agissait, cibler
et retranscrire n’importe quel événement du passé devient un jeu
d’enfant…
– Un
jeu d’enfant… Ben, voyons !
– Ah,
ben si ! Si ! Avec les télétransporteuses de la dernière
génération, d’une puissance phénoménale, ça ne pose absolument
aucun problème…
On
est restées toutes les trois un long moment songeuses…
– Ça
va tout changer… Tout…
– Il
y a des tas de mystères du passé qui vont se trouver résolus du
coup…
– Tous…
Ça donne le vertige…
– Et
même… Même en-dehors de ça… Rien que de pouvoir voir comment
ils vivaient les gens dans le temps… Il y a deux siècles… Cinq
siècles… Dix mille ans…
Célienne,
elle, ça la choque quand même un peu…
– Parce
qu’il y a des trucs, c’était leur vie… Ça regardait qu’eux…
Alors que ce soit étalé comme ça devant tout le monde…
Marvine
a haussé les épaules…
– De
toute façon, avec les moyens dont on dispose aujourd’hui, il y a
plus de vie privée… Pour personne…
– Oui,
mais nous on le sait… On fait avec… Eux, ils l’ignoraient…
Ils se croyaient à l’abri… Ça change tout…
– Ils
s’en foutent… Ils sont morts…
Moi,
ce que je vois, c’est que, dans ces conditions, Roxane et
Christopher n’auront bientôt plus aucun secret pour moi…
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