Lundi 25 janvier 2084
Marvine
m’a arrêtée…
– Non…
Attends ! Vaut mieux que tu descendes pas au labo ce matin…
– Hein ?
Mais pourquoi ?
– Parce
que… Parce qu’il y a une grosse huile qui vient nous rendre
visite…
– Ah
oui, d’accord… J’ai compris… Vaut mieux éviter qu’elle me
voie… J’ai pas trop le droit d’y être en bas…
– C’est
surtout qu’elle apprécierait pas que toi, tu la voies… Moins il
y a de monde au courant de ce qu’elle vient faire ici…
– Qu’est-ce
qu’elle vient faire ?
– Tu
devines pas ? Son marché…
– Son
marché ? Tu veux dire… Se choisir un mec ?
– Si
c’était qu’un ! Non… En général, c’est deux ou trois
qu’elle s’envoie à la file… Quelquefois plus… Et on la
revoit pas d’un mois…
– Une
dirigeante ! Non, mais alors là, j’en reviens pas… Alors
que le discours qu’elles tiennent…
– Ça
t’étonne ?
– Non…
À vrai dire, non…
– Elles
ont tous les droits… Elles les prennent… Quand on a le pouvoir…
– En
attendant, j’ai l’impression que c’est bien ce qu’on disait
jeudi… Une fois qu’on y a goûté aux hommes on peut plus s’en
passer…
– Ben,
évidemment…
– Tu
parles d’expérience ?
– À
ton avis ?
– Mon
avis, c’est que quand on en a toute une tripotée, comme ça, sous
la main, on est forcément tentée… Un jour ou l’autre… Tu me
raconteras ?
– File !
Elle va arriver… Descends aux archives… En principe, c’est pour
ça qu’on te l’a donné le laissez-passer… Si tu veux pas finir
par avoir des ennuis à force de jamais y mettre les pieds…
Urfine
m’a accueillie sur le pas de la porte…
– Ah,
quand même ! Je finissais par désespérer, moi !
– C’est
que…
– Oh,
mais te justifie pas !
– Mais
non, mais…
– C’est
le branle-bas de combat là-bas, hein ?
– Un
peu…
– Beaucoup,
tu veux dire, oui… Chaque fois qu’elle vient celle-là, c’est
pareil… Tout le monde sait pourquoi, mais tout le monde fait
semblant de croire que c’est dans le cadre de ses fonctions… Pour
vérifier que les quotas sont bien respectés… Les éprouvettes
bien étiquetées… Tu parles ! C’est hypocrisie et compagnie
tout ça… Comme d’habitude… Parce que tu vas en voir défiler
des grosses pointures… Sous les prétextes les plus divers… Mais
toujours pour les mêmes raisons… Ah, ça les tient de se caler un
mec entre les cuisses… À croire que plus on est haut placée… En
attendant, je me demande ce qu’elles y trouvent… Parce que moi
aussi, j’ai essayé… Comme la plupart ici… Et, franchement, ça
casse pas trois pattes à un canard… Tu t’éclates mille fois
plus avec une nana… Tu trouves pas, toi ?
– Je
peux pas savoir… J’ai jamais connu que ça les nanas…
– Oui…
Évidemment… Tu vis avec Marvine, hein ?
– Et
deux autres filles…
– Elles
ont beaucoup de chance… T’as un charme fou… Moi, à leur place,
c’est sans arrêt que j’aurais envie avec toi… Je te laisserais
pas un moment de répit… Mais je vis pas avec toi… Ce qui empêche
pas… Ce qui empêche rien… Si t’as envie, toi aussi, un jour…
Non, non… Dis rien… Réponds pas… Pas tout de suite… Pas
maintenant… Plus tard… Va travailler…
Et
elle m’a remis un imposant dossier… Elle y a rassemblé tous les
documents qu’elle a pu trouver concernant le séjour de mon
grand-père Christopher au centre. Et pas seulement au centre. Parce
que ce que je viens d’y découvrir, c’est qu’elles l’ont
suivi pas à pas dans sa fuite. Elles ont toujours su où il se
trouvait. Ce qu’il faisait. Avec qui. Tous les rapports sont là.
Soigneusement numérotés. Et pourtant à aucun moment elles n’ont
essayé d’intervenir. De le ramener. Elles l’ont laissé faire.
Jusqu’au bout. Pourquoi ? Alors qu’une telle attitude est en
complète contradiction avec les positions clairement et fermemement
affichées du gouvernement de l’époque. Il y a certainement une
raison, mais laquelle ? J’ai beau tourner et retourner la
question dans tous les sens, je ne trouve aucune réponse qui me
satisfasse vraiment. Il y a là un véritable mystère.
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