mardi 23 juin 2020

Hébergement d'urgence (15)

Elle est allée passer son dimanche chez ses parents.

– Faut bien, quand même, de temps en temps. C’est la purge, mais bon…

Est rentrée sur le coup de sept heures.

– Tu veux manger quoi ?

– Je sais pas. Mais ce que je me disais, en rentrant, c’est que peut-être on aurait pu aller au restaurant. Ça nous aurait donné l’occasion de parler.

– Ah, parce que tu trouves qu’on parle pas ?

– Si ! Bien sûr ! Si ! Mais c’est pas pareil au restaurant. Ça change. On n’est pas chez soi. Il y a une atmosphère complètement différente. Alors on dit pas les mêmes choses. Ou on les dit pas de la même manière.


Et on s’est retrouvés au restaurant tous les deux. Un restaurant qu’elle a choisi.

– C’est moi qui vous l’offre n’importe comment…

Avec nappes blanches, chandelles torsadées cassis et lumières tamisées.

– C’est pas que j’aie des goûts de luxe, mais bon, ça dépayse une fois de temps en temps.

À peine le serveur avait-il pris la commande qu’elle s’est lancée.

– Je peux vous demander quelque chose ? Pourquoi vous avez pas de femme ?

– Peut-être parce que je tiens à ma liberté.

– Oui, non, mais ça, moi aussi ! C’est pas ça, ma question. Je parle pas d’une femme à temps plein, mais de femmes d’un moment, comme ça, juste pour se faire du bien. Vous en avez jamais eu ?

– Si ! Si ! Bien sûr !

– Mais pas depuis que j’habite chez vous. Ni même, je crois bien, depuis que vous m’avez comme vendeuse. Au début, je croyais que c’était parce qu’il était plus en état de marche, votre bazar, que vous pouviez plus. Mais c’est pas ça. Vous l’avez sans arrêt en batterie. Alors, c’est quoi, la raison ?

– Il y en a peut-être pas…

– Oh, si, il y en a une, si ! Forcément… Et j’ai même ma petite idée là-dessus.

– Qui est ?

– Que vous adorez m’entendre m’envoyer en l’air, depuis votre chambre, à côté. Vous voudriez rater ça pour rien au monde. Alors avoir une nana par les pieds, ça vous empêcherait d’être à votre main… Si j’ose dire… Et comme vous savez jamais à l’avance si je serai toute seule ou pas, vous préférez vous garder le champ libre, au cas où… C’est pas ça ? Je me trompe ?

– Oui et non.

– Ben, expliquez ! Restez pas comme ça avec votre air en l’air, là.

– C’est pas seulement que je préfère à n’importe quoi d’autre t’entendre – ou te voir, comme l’autre jour – avec Baptiste, c’est que, pour être tout à fait sincère avec toi, même quand il y a personne, même quand t’es toute seule dans ta chambre…

– Vous vous donnez du plaisir sur moi.

– Voilà, oui. On passe toutes nos journées ensemble. Je te vois. Je te regarde. Tu as tout un tas de gestes, d’attitudes, de mimiques, d’expressions, de sourires qui m’émeuvent, qui m’attendrissent, qui me bouleversent et quand j’y repense le soir…

– C’est bien de pouvoir se parler comme ça, hein ? Sans tricherie. Sans faux-fuyants.

– Oh, oui, alors !

On s’est souri.

Le serveur a débarrassé nos assiettes. Nous a apporté nos tournedos Rossini.

– Je le savais tout ça. Je suis pas idiote. Mais comment je suis contente que vous l’ayez dit, vous avez même pas idée. Que vous l’ayez dit et que vous me préfériez, moi, à avoir des femmes en vrai. C’est une belle preuve de…

– De ?

– C’est une belle preuve.

On s’est encore souri. Plus rayonnant encore. Plus complice. Elle a hésité. Semblé chercher ses mots.

– Et il y a que sur moi que vous vous le faites ?

S’est aussitôt reprise.

– Non, non ! Me dites pas ! Me dites rien ! Juste… Il y a pas la fille de la cabine, là, au moins ?

– Jamais de la vie.

– Ah, bon, alors ça va…


C’est dans la voiture, au retour, qu’elle m’a posé la question.

– Et si je vous faisais un cadeau, quelque chose en vrai avec moi, vous aimeriez que ce soit quoi ? À part coucher, bien sûr, parce que ça, c’est exclu. Au moins pour le moment…

Au moins pour le moment ? Je me suis bien gardé de relever, mais… Au moins pour le moment…

– Alors, hein, ce serait quoi ?

– De pouvoir te voir.

– Me voir ? Mais vous faites que ça. Toute la journée. Depuis des semaines…

– Non, mais te voir… De tout près…

– Ah, oui, m’avoir le nez carrément collé sur le minou, quoi ! C’est ça, hein ?

Elle a posé sa main sur la mienne.

– Vous savez que je vous adore par moments ?

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