mardi 20 août 2019

Clorinde, ma colocataire (43)


Le lendemain matin, devant son café au lait, elle tirait une tronche de douze kilomètres.
– Holà ! Ça va pas, toi !
Ah, non, ça allait pas, non !
– Faut que j’aille à la fac. Je peux pas y couper : il y a un partiel. Et ça m’emmerde ! Si vous saviez ce que ça m’emmerde. Parce que, de toute façon…
Elle a soupiré, léché sa cuillère.
– Vu que j’ai strictement rien révisé… Bon, mais vous allez faire quoi, vous, pendant ce temps-là ?
– Un petit tour à la pétanque, sûrement !
– Ben, tiens ! Bonne chance alors ! Vous me raconterez ?
– Tu sais bien que oui !

Mégane était là, toute seule, fidèle au poste, à s’entraîner.
– Vous allez croire que j’y passe ma vie, mais il me reste tout un tas de congés à prendre. Alors j’en profite. Et puis il faut bien que de temps en temps, il y ait quelqu’un qu’assure une permanence ici. Bon, mais vous voulez jouer ?
C’était pas de refus, oui.
– Et moi, ça m’arrange. Parce que jouer toute seule, c’est pas vraiment l’idéal.
On a équitablement entrelacé parties et pauses. Des pauses dont j’ai profité pour essayer de la faire parler un peu d’elle. De son métier.
– Oui, oh, vous savez, caissière en grande surface, ça n’a rien d’exaltant.
De ses hobbies.
– À part la pétanque, je peux pas dire qu’il y ait grand-chose qui me passionne.
Elle avait des enfants ?
Oui, oh, alors là, c’était un sujet… Elle aurait aimé, oui. Évidemment qu’elle aurait aimé. Comme tout le monde. Seulement…
– Votre mari n’en veut pas.
– C’est pas qu’il en veut pas, c’est que…
Elle a marqué un long temps d’arrêt.
– Il m’a pas touchée depuis six mois.
– Ah !
Elle a haussé les épaules.
– Ce qui revient au même, finalement.
Je voulais pas être indiscret, mais…
– Il a quelqu’un d’autre ?
Peut-être. Elle savait pas. Il y avait des jours où elle se disait que oui, forcément, il avait une maîtresse. Et d’autres, où elle n’était plus certaine de rien.
– Ce qu’il y a de sûr, par contre, c’est qu’il me voit plus. Je suis complètement transparente à ses yeux. Et ça fait mal. Vous pouvez pas savoir ce que ça fait mal. Et comment voulez-vous, en dehors du fait qu’il se passe plus rien entre nous sur le plan sexuel, comment voulez-vous que je puisse envisager d’avoir des enfants avec lui ? Alors que j’arrête pas de me demander combien de temps ça va pouvoir encore durer comme ça tous les deux ? Si c’est pour qu’on se sépare six mois après et que le gamin soit ballotté en permanence de droite et de gauche, non, merci bien.
– Vous l’aimez encore ?
Elle a poussé un profond soupir.
– Que je l’aie aimé, ça, c’est sûr. On a eu trois ans de pur bonheur. Sans le moindre nuage. Et puis, petit à petit, ça s’est effiloché. Comment ? Pourquoi ? Ça reste pour moi un mystère. Peut-être qu’il y a un cap qu’on n’a pas su franchir. Ou que c’est dans l’ordre des choses. Ce que j’éprouve pour lui maintenant ? Franchement, je sais pas. Je sais plus. Peut-être que le mot qui conviendrait le mieux, ce serait affection. Une certaine affection. Et c’est horrible, si on y réfléchit bien.
Elle s’est levée.
– Mais je vous embête avec mes histoires.
– Pas du tout, non.
– Allez, venez, on joue.

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