Le lendemain matin, devant son café au lait, elle tirait une tronche
de douze kilomètres.
– Holà !
Ça va pas, toi !
Ah,
non, ça allait pas, non !
– Faut
que j’aille à la fac. Je peux pas y couper : il y a un
partiel. Et ça m’emmerde ! Si vous saviez ce que ça
m’emmerde. Parce que, de toute façon…
Elle
a soupiré, léché sa cuillère.
– Vu
que j’ai strictement rien révisé… Bon, mais vous allez faire
quoi, vous, pendant ce temps-là ?
– Un
petit tour à la pétanque, sûrement !
– Ben,
tiens ! Bonne chance alors ! Vous me raconterez ?
– Tu
sais bien que oui !
Mégane
était là, toute seule, fidèle au poste, à s’entraîner.
– Vous
allez croire que j’y passe ma vie, mais il me reste tout un tas de
congés à prendre. Alors j’en profite. Et puis il faut bien que de
temps en temps, il y ait quelqu’un qu’assure une permanence ici.
Bon, mais vous voulez jouer ?
C’était
pas de refus, oui.
– Et
moi, ça m’arrange. Parce que jouer toute seule, c’est pas
vraiment l’idéal.
On a
équitablement entrelacé parties et pauses. Des pauses dont j’ai
profité pour essayer de la faire parler un peu d’elle. De son
métier.
– Oui,
oh, vous savez, caissière en grande surface, ça n’a rien
d’exaltant.
De
ses hobbies.
– À
part la pétanque, je peux pas dire qu’il y ait grand-chose qui me
passionne.
Elle
avait des enfants ?
Oui,
oh, alors là, c’était un sujet… Elle aurait aimé, oui.
Évidemment qu’elle aurait aimé. Comme tout le monde. Seulement…
– Votre
mari n’en veut pas.
– C’est
pas qu’il en veut pas, c’est que…
Elle
a marqué un long temps d’arrêt.
– Il
m’a pas touchée depuis six mois.
– Ah !
Elle
a haussé les épaules.
– Ce
qui revient au même, finalement.
Je
voulais pas être indiscret, mais…
– Il
a quelqu’un d’autre ?
Peut-être.
Elle savait pas. Il y avait des jours où elle se disait que oui,
forcément, il avait une maîtresse. Et d’autres, où elle n’était
plus certaine de rien.
– Ce
qu’il y a de sûr, par contre, c’est qu’il me voit plus. Je
suis complètement transparente à ses yeux. Et ça fait mal. Vous
pouvez pas savoir ce que ça fait mal. Et comment voulez-vous, en
dehors du fait qu’il se passe plus rien entre nous sur le plan
sexuel, comment voulez-vous que je puisse envisager d’avoir des
enfants avec lui ? Alors que j’arrête pas de me demander
combien de temps ça va pouvoir encore durer comme ça tous les
deux ? Si c’est pour qu’on se sépare six mois après et que
le gamin soit ballotté en permanence de droite et de gauche, non,
merci bien.
– Vous
l’aimez encore ?
Elle
a poussé un profond soupir.
– Que
je l’aie aimé, ça, c’est sûr. On a eu trois ans de pur
bonheur. Sans le moindre nuage. Et puis, petit à petit, ça s’est
effiloché. Comment ? Pourquoi ? Ça reste pour moi un
mystère. Peut-être qu’il y a un cap qu’on n’a pas su
franchir. Ou que c’est dans l’ordre des choses. Ce que j’éprouve
pour lui maintenant ? Franchement, je sais pas. Je sais plus.
Peut-être que le mot qui conviendrait le mieux, ce serait affection.
Une certaine affection. Et c’est horrible, si on y réfléchit
bien.
Elle
s’est levée.
– Mais
je vous embête avec mes histoires.
– Pas
du tout, non.
– Allez,
venez, on joue.
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