mardi 27 août 2019

Clorinde, ma colocataire (44)


Elle a jeté son sac sur le fauteuil, près de l’entrée.
– Alors ! La bouliste ? Eh ben, racontez, quoi !
Elle m’a écouté, jusqu’au bout, sans jamais m’interrompre, avec infiniment d’attention.
– C’est tout ?
C’était tout, oui.
– C’est clair comme de l’eau de roche où elle veut en venir, attendez ! Parce qu’une nana qui fait des confidences comme ça à un type qu’elle a à peine vu trois fois, elle a forcément des idées derrière la tête. Et là, elle y est pas allée par quatre chemins, elle. « Il y a six mois qu’il m’a pas tirée. » Si c’est pas un appel du pied, ça, à moi la peur ! Et je donne pas huit jours avant que vous l’ayez grimpée dans votre lit. Maintenant, je sais pas. Peut-être que c’est le genre avec qui il va falloir que vous mettiez quand même un peu les formes. Qui veut pas admettre que c’est juste un plan cul. Qui va vous demander d’être son confident pour enrober tout ça. Qui en a peut-être réellement besoin, d’ailleurs. Mais de toute façon, à l’arrivée, le résultat sera le même. Ce sera nique-nique. Et je la comprends, la pauvre ! Parce que si c’est être mariée pour jamais voir le loup… Et à trente ans en plus…
Elle a esquissé un petit sourire mutin.
– Pourquoi tu te marres ?
– Non. Pour rien. Je pense à un truc.
– Ben, dis !
– Oh, non ! Vous allez me trouver vraiment très très tordue.
– Mais si ! Dis !
– Non. Ce que j’imaginais, c’est que c’était à l’hôtel là-bas que vous alliez la retrouver. Dans la chambre même où son mari s’envoie en l’air avec sa collègue Alexandra.
– C’est vrai que t’es particulièrement tordue. Mais c’est aussi ce qui fait ton charme. Entre autres choses, bien sûr !
– Bon, mais en attendant, puisqu’on parle d’Alexandra, vous savez ce que j’ai fait aujourd’hui ?
– T’avais pas un partiel ?
– Si ! Mais je me suis tirée au bout de dix minutes. Ça servait à rien que je reste. Quand on sait pas, on sait pas. Et donc, je suis passée lui rendre une petite visite à Alexandra, histoire de voir comment elle avait vécu notre petite soirée d’hier et, surtout, ce qu’elle avait pensé de vous. Elle avait pas beaucoup de temps à m’accorder, parce qu’elle partait bosser, mais j’ai pas été déçue du voyage.
– Comment ça ?
– Ben, vous lui avez carrément tapé dans l’œil, oui ! Elle a pas arrêté de me chanter vos louanges. Sur tous les tons. Comment vous êtes calme ! Rassurant ! Et puis beau avec ça ! « Il a vraiment un charme fou… » Non, mais alors là, elle me comprenait pas. Pas du tout ! « Je peux te dire que moi, je vivrais sous le même toit qu’un type comme ça, je me poserais pas de questions, alors là, je foncerais ! » Oh, mais elle pouvait, hein ! Je n’y voyais pas, pour ma part, le moindre inconvénient. Qu’elle se fasse plaisir ! Qu’elle s’éclate ! Ben, franchement, elle avait bien envie de se laisser tenter. Parce qu’il y avait des éternités qu’un type l’avait pas remuée comme ça. Et donc, à moins qu’elle vous inspire vraiment pas…
– Tu sais bien que si !
– Ah, ben ça, vous me diriez le contraire. Vu comment vous lui matez le cul chaque fois que l’occasion se présente… Bon, ben il y a plus qu’à l’inviter. Et le plus tôt sera le mieux. Comment vous allez jouer sur du velours, vous, n’empêche…
– Mais son magnétiseur, là ?
– Lui ? Il n’en a pas été du tout question. Mais, à mon avis, c’est pas le genre de fille à qui ça pose un problème de courir deux lièvres à la fois. À vous non plus, j’espère ! Parce que, si tout se passe bien, vous allez être pris entre deux feux, là. La maîtresse et la légitime. C’est pas banal, avouez, comme situation. Je me demande d’ailleurs si moi, pendant ce temps-là, je vais pas s’occuper de son cas, du coup, au magnétiseur. Histoire de faire bonne mesure. Oui, je crois bien que moi aussi, je vais me laisser tenter.

mardi 20 août 2019

Clorinde, ma colocataire (43)


Le lendemain matin, devant son café au lait, elle tirait une tronche de douze kilomètres.
– Holà ! Ça va pas, toi !
Ah, non, ça allait pas, non !
– Faut que j’aille à la fac. Je peux pas y couper : il y a un partiel. Et ça m’emmerde ! Si vous saviez ce que ça m’emmerde. Parce que, de toute façon…
Elle a soupiré, léché sa cuillère.
– Vu que j’ai strictement rien révisé… Bon, mais vous allez faire quoi, vous, pendant ce temps-là ?
– Un petit tour à la pétanque, sûrement !
– Ben, tiens ! Bonne chance alors ! Vous me raconterez ?
– Tu sais bien que oui !

Mégane était là, toute seule, fidèle au poste, à s’entraîner.
– Vous allez croire que j’y passe ma vie, mais il me reste tout un tas de congés à prendre. Alors j’en profite. Et puis il faut bien que de temps en temps, il y ait quelqu’un qu’assure une permanence ici. Bon, mais vous voulez jouer ?
C’était pas de refus, oui.
– Et moi, ça m’arrange. Parce que jouer toute seule, c’est pas vraiment l’idéal.
On a équitablement entrelacé parties et pauses. Des pauses dont j’ai profité pour essayer de la faire parler un peu d’elle. De son métier.
– Oui, oh, vous savez, caissière en grande surface, ça n’a rien d’exaltant.
De ses hobbies.
– À part la pétanque, je peux pas dire qu’il y ait grand-chose qui me passionne.
Elle avait des enfants ?
Oui, oh, alors là, c’était un sujet… Elle aurait aimé, oui. Évidemment qu’elle aurait aimé. Comme tout le monde. Seulement…
– Votre mari n’en veut pas.
– C’est pas qu’il en veut pas, c’est que…
Elle a marqué un long temps d’arrêt.
– Il m’a pas touchée depuis six mois.
– Ah !
Elle a haussé les épaules.
– Ce qui revient au même, finalement.
Je voulais pas être indiscret, mais…
– Il a quelqu’un d’autre ?
Peut-être. Elle savait pas. Il y avait des jours où elle se disait que oui, forcément, il avait une maîtresse. Et d’autres, où elle n’était plus certaine de rien.
– Ce qu’il y a de sûr, par contre, c’est qu’il me voit plus. Je suis complètement transparente à ses yeux. Et ça fait mal. Vous pouvez pas savoir ce que ça fait mal. Et comment voulez-vous, en dehors du fait qu’il se passe plus rien entre nous sur le plan sexuel, comment voulez-vous que je puisse envisager d’avoir des enfants avec lui ? Alors que j’arrête pas de me demander combien de temps ça va pouvoir encore durer comme ça tous les deux ? Si c’est pour qu’on se sépare six mois après et que le gamin soit ballotté en permanence de droite et de gauche, non, merci bien.
– Vous l’aimez encore ?
Elle a poussé un profond soupir.
– Que je l’aie aimé, ça, c’est sûr. On a eu trois ans de pur bonheur. Sans le moindre nuage. Et puis, petit à petit, ça s’est effiloché. Comment ? Pourquoi ? Ça reste pour moi un mystère. Peut-être qu’il y a un cap qu’on n’a pas su franchir. Ou que c’est dans l’ordre des choses. Ce que j’éprouve pour lui maintenant ? Franchement, je sais pas. Je sais plus. Peut-être que le mot qui conviendrait le mieux, ce serait affection. Une certaine affection. Et c’est horrible, si on y réfléchit bien.
Elle s’est levée.
– Mais je vous embête avec mes histoires.
– Pas du tout, non.
– Allez, venez, on joue.

mardi 13 août 2019

Clorinde, ma colocataire (42)


C’est Clorinde qui a fait faire à Alexandra le tour du propriétaire.
– Je peux ?
– Bien sûr…
– Alors là, c’est le séjour… Regarde-moi ça ! Non, mais regarde-moi ça ! Et puis alors la vue !
Qu’elle ne lui a pas laissé le temps de contempler. Elle l’a entraînée dans la cuisine.
– Tu te mets aux fourneaux par plaisir dans un truc pareil. Des heures t’y passerais !
Puis dans sa chambre.
– Une vraie salle de bal, t’as vu ça ! Et le lit ! Il est d’un moëlleux !
Ce qu’elle lui a fait vérifier. Poing fermé.
– Cela étant, j’y suis pas souvent. C’est plutôt avec lui que je dors. À côté.
Où elle l’a entraînée.
– Et v’là le travail ! Avoue que j’ai pas à me plaindre…
Un petit tour dans la salle de bains.
– Baignoire avec remous, s’il vous plaît…
Elle l’a fait redescendre.
– Et maintenant la cerise sur le gâteau. Par là ! Non, à droite. Là ! Tu y es.
Devant la piscine.
– Hou ! La vache !
– Oui, hein ! Et il y a pas de vis-à-vis. L’été complètement à poil on se baigne. Pas de marques de maillot comme ça. Tu pourras venir si tu veux.

On est passés à table.
– Alors ? Qu’est-ce t’en dis ?
Elle en disait que… Que c’était bien… Que c’était même très bien.
– Oui, hein ! Oh, mais je sais ce que tu penses. T’y crois pas une seule seconde qu’on couche pas.
Alexandra a fait mine de protester.
– Mais si ! Bien sûr que si que c’est ce que tu penses ! C’est trop le schéma classique, attends ! La petite étudiante sans le sou avec le quinquagénaire bourré de thunes. Qui l’entretient. Qui lui offre tout ce qu’elle veut. En contrepartie de quoi elle écarte les cuisses. C’est ce que tout le monde s’imagine. Forcément. Eh ben, c’est pas ça du tout. Bien sûr qu’on en a des moments érotiques. Souvent. Et intenses. À notre façon à nous. Mais on couche pas. Non, non et non. Ça gâcherait tout. Et on se perdrait.
C’était pas vraiment qu’elle y croyait pas, Alexandra. C’était…
– Qu’il y a pas grand-monde qu’est capable de ça. Alors que presque tout le monde en rêve. Et, du coup, on préfère se persuader que c’est pas possible. On n’a pas envie de se dire qu’il y en a qui y arrivent.

Dans la foulée, Clorinde a évoqué ses mecs.
– Et il y en a eu ! Mais bof ! Ça cassait pas trois pattes à un canard. J’en ai fait le tour. C’est toujours à peu près pareil finalement, hein ! Avant tu t’imagines des tas de trucs, mais une fois que t’es avec, le type ! Alors je cherche plus. C’est trop décevant. Et puis je suis bien comme je suis. Un petit coup vite fait, comme ça, à la rigueur, si l’occasion se présente, mais ça s’arrête là. Et toi ?

Elle a hésité.
– Oh, moi !
Haussé les épaules.
– J’ai quelqu’un, oui, mais qu’est marié.
– Et t’espères que…
– Qu’il quitte sa femme ? Non. De toute façon je suis pas sûre qu’au quotidien avec lui… Alors je prends les bons moments. Sans trop me poser de questions.

mardi 6 août 2019

Clorinde, ma colocataire (41)


On a frappé.
J’ai jeté un coup d’œil sur le réveil. Huit heures. Qui ça pouvait bien être ?
On a insisté.
– Clorinde…
– Quoi ?
Elle était couchée sur le flanc, couette rabattue jusqu’au pied du lit, vêtue en tout et pour tout d’une petite culotte blanche.
– On frappe.
– Ben, allez ouvrir ! Qu’est-ce vous attendez ?
D’une voix empâtée.
C’était un type en peignoir bleu, la serviette de bains sur l’épaule, la trousse de toilette à la main.
– Excusez-moi ! Je suis le voisin à gauche. Elle est pas là la jeune femme ?
J’ai chuchoté.
– Elle dort.
Il a chuchoté aussi.
– Non, parce que je l’ai vue hier. Et elle m’a proposé de venir me laver si je voulais. Comme ma douche est en panne.
– Ben, allez-y ! Mais faites pas de bruit. La réveillez pas !
Un doigt sur les lèvres, il m’a fait signe que oui… Oui… Bien sûr.
Elle n’avait pas changé de position.
Il a tiré sur lui la porte de la salle de bains. L’eau a giclé.

Je suis allé la rejoindre.
– Il m’a regardée ? En passant. Il m’a regardée ?
– Ah, ben ça !
– Appuyé ?
– Encore assez. Mais pas trop quand même. Parce que j’étais là, mais sinon…
– Et si ça se trouve, il est en train de se branler comme un furieux, là, à côté, en pensant à ce qu’il vient de voir.
– Possible, oui.
– Plus que probable, vous voulez dire. Et même, quasiment certain. J’aime bien. Comment elle est sa queue, vous croyez ?
– Qu’est-ce que tu veux que j’en sache ?
– Ben, allez voir ! Trouvez un prétexte, je sais pas, moi !
– Que je…
Elle a éclaté de rire.
– Vous verriez votre tête ! Vous êtes vraiment trop drôle.
Elle s’est levée.
– Bon, mais que je m’habille quand même ! Avant qu’il sorte. Qu’il aille pas s’imaginer des trucs. Parce que tout-à-l’heure j’étais censée dormir, mais maintenant…
– Tu m’en avais pas parlé de ce type…
– Entre la Mégane de la pétanque, son mari, Alexandra, et tout et tout, ça m’était complètement sorti de la tête. Oh, mais c’est tout bête, hein ! On s’est trouvés en même temps sur le palier. Il sortait de chez lui. Je rentrais. On a un peu discuté. Il m’a dit qu’il était embêté parce que sa douche marchait plus, que le plombier était débordé, qu’il allait venir, oui, mais quand ? Je lui ai proposé d’utiliser la mienne, du coup, en attendant. Et puis voilà !
Elle a boutonné son pantalon.
– Cela étant, que sa douche soit HS, je suis loin d’en être convaincue, mais bon…

Il a fait sa réapparition.
– Hou ! Ça fait du bien…
Elle lui a proposé un café.
– Non, merci. Désolé. Faut que j’y aille. Je suis déjà à la bourre. Une autre fois…
– En tout cas, hésitez pas, hein ! Revenez quand vous voulez.
– Oui. Merci. C’est gentil. C’est très gentil.