Elle se tournait, se retournait, soupirait.
– Tu
dors pas ?
– Non.
Je réfléchis.
– À
quoi ?
– Oh,
à plein de trucs. Et vous savez ce que je me dis ? C’est que,
dès que je saurai à quoi il ressemble, le type, il faudra qu’on
retourne à l’hôtel les écouter s’envoyer en l’air. Dans la
chambre d’à côté. Parce que déjà que c’est super excitant
d’entendre un couple baiser, mais alors quand en plus tu connais
leurs tronches, que tu peux imaginer la tête qu’ils font quand ils
jouissent, alors là !
Elle
a marqué un long temps d’arrêt.
– Non,
et puis il y a pas que ça… Ce qui y fait aussi, dans leur cas,
c’est qu’on est en train de les prendre dans nos filets, c’est
qu’on s’est mis à quadriller leur vie. Et qu’ils n’en ont
pas le moindre soupçon. On va en savoir de plus en plus sur eux. On
va leur aller dans tout un tas de recoins. D’une certaine façon,
on peut dire qu’on va se les approprier Complètement. J’adore,
moi ! J’adore vraiment…
Elle
s’est tue. Ça a imperceptiblement bougé sous les draps.
– J’ai
toujours adoré ça, moi, me faufiler à leur insu dans l’existence
des autres.
Ça
a bougé plus vite. Son souffle s’est fait plus court. Elle a pris
ma main, l’a serrée.
– C’est
trop bon…
Elle
a doucement gémi. S’est apaisée. A laissé tomber sa tête sur
mon épaule. Sans lâcher ma main.
Et
elle s’est endormie.
– C’était
comment ?
On
venait de se réveiller.
– Hein ?
C’était comment, moi, hier soir ?
Et
elle a glissé sa main sous l’oreiller, en a extirpé son petit
enregistreur.
– Ah,
parce que…
– Oh,
ben oui, attendez, oui. Je l’ai toujours à portée de main. Au cas
où…
Elle
l’a mis en marche. A fermé les yeux. Écouté.
– C’était
tout doux en fait. C’est bien ce qu’il me semblait, mais bon,
j’étais pas sûre. Parce que, quand t’es dedans, tu te rends pas
toujours forcément compte. Je me suis surprise, des fois, le
lendemain. Si, c’est vrai, hein !
Elle
s’est redressée sur un coude.
– N’empêche
que vous savez tout de moi, vous, maintenant, hein, mine de rien.
Presque tout.
– Et
c’est quoi ce presque ?
– Un
truc.
– Quel
truc ?
Elle
a tapoté, du bout du doigt, son petit enregistreur.
– C’est
là-dedans.
A
cherché mes yeux.
– Non,
parce qu’on est jamais autant soi-même que quand on se donne du
plaisir.
– Ah,
ça !
– On
se livre à fond quand on se caresse. Ils te disent tout, tes
fantasmes. Tout. Ils te laissent rien dans l’ombre. Ils veulent pas
que tu triches. Et ils vont obstinément te chercher là où t’as
une trouille monumentale d’aller, mais très envie quand même. Là
où t’es essentiel. Alors ils insistent, ils insistent. Jusqu’à
ce que tu cèdes. Ça vous le fait jamais à vous ?
– Oh,
que si !
– Moi,
il y en a un, de fantasme, comment j’ai lutté contre ! J’en
voulais pas. À aucun prix. Mais maintenant que je l’ai laissé
entrer, alors là ! Il me lâche plus. C’est presque toujours
lui que je prends en ce moment. Et je peux vous dire que ça dépote.
Quand je me réécoute le lenemain…
– Et
il y a pas moyen de savoir ?
– Oh,
vous, si ! Au point où j’en suis maintenant n’importe
comment avec vous. Et en plus…
Elle
m’a tiré un tout petit bout de langue.
– Vous
êtes concerné.
– Moi ?
– Vous,
oui.
Son
portable a bipé. Un texto.
– Wouah !
C’est mes parents. Qui veulent voir l’appart. Ils sont là dans
dix minutes. Partez ! Partez ! Parce que, s’ils vous
trouvent là, ils vont plus rien y comprendre. Ils vont se faire tout
un film. Et on n’est pas sortis de l’auberge.