mardi 12 février 2019

Clorinde, ma colocataire (16)

Elle a hoché la tête.
– Il est bien sûr de lui, votre Martial, là.
– Je l’ai toujours connu comme ça.
– Oui, ben il me passera pas à la casserole. De ce côté-là, il y a pas le moindre risque. Par contre, quel pied je vais prendre à le regarder faire la roue devant moi, alors ça ! Bon, mais dites-moi ! On est quel jour ?
– Le quinze. Non, le seize. Pourquoi ?
– Le seize, oui. Et vous avez pas oublié quelque chose ?
– Wouah ! C’est ton anniversaire.
– C’est mon anniversaire, oui. Depuis ce matin. Et vous vous en fichez complètement.
– Mais non, mais… Je suis désolé. Va vite te préparer, tiens ! Je t’emmène au restaurant.
– Et un bon, hein ! Vous avez intérêt. Si vous voulez que je vous pardonne…

Un bon. Étoilé. Avec des nappes blanches. Des chandeliers. Et des serveurs aux petits soins.
Elle s’est penchée.
– Qu’est-ce tu regardes ?
– La nappe. Elle descend bas. Elle cache. Comme ça, si jamais l’envie me prend d’aller me rendre une petite visite là-dessous…
– Tu es infernale.
– De plus en plus. Et c’est de votre faute.
– Ben, voyons !
– Enfin, grâce à vous, plutôt ! C’est vrai qu’il y a eu – et qu’il y a encore Emma – mais Emma, c’est pas pareil. C’est une femme. Vous, vous êtes un homme et vous me jugez pas. Jamais. Du coup, je peux me laisser aller à être complètement ce que je suis. Comment ça fait du bien ! Je me sens au large. Et je me découvre. Si, c’est vrai, hein ! Il y a tout un tas de pans de moi-même dont je me rends compte que je ne leur laissais pas vraiment les coudées franches. Que je les bridais. Ou que je les vivais en demi-teinte. On a beau se dire qu’on se fout du qu’en-dira-t’on comme de l’an quarante – quitte à faire quelquefois de la provoc ; et ça, je sais faire, quand il faut ! – c’est jamais tout-à-fait vrai. On a toujours le regard des autres qui nous traîne plus ou moins dessus. Sauf que le vôtre, de regard, il rend tout ce qu’il touche simple. Naturel. Tout va de soi. J’adore capter les regards des hommes ? Les retenir ? C’est bien. C’est même très bien. Les exciter m’excite ? Vous n’y trouvez absolument rien à redire. Bien au contraire. Chaque fois que j’en ai l’occasion, je mate leurs queues avec délectation ? Et alors ? Vous voyez vraiment pas pourquoi ça devrait poser problème. Du moment que j’y trouve mon compte. Mais le « pire », depuis que je vous connais, c’est ça : me branler. Non, mais comment ça me tient ! Dix fois plus qu’avant. Et c’est pas peu dire. Sans arrêt j’y pense. Tous les jours je me le fais. Au moins une fois. Quand c’est pas plus. Il y a toujours quelque chose, à un moment ou à un autre, qui me donne envie. Et vous savez ce qu’a changé ? C’est que maintenant j’accepte complètement l’idée que je prends bien plus de plaisir toute seule qu’avec un mec. Avant, ça n’empêchait rien, non, bien sûr, mais j’avais quand même toujours une petite voix en arrière-fond qui me disait que c’était pas normal. Que j’étais pas normale. Que c’était dans l’autre sens que ça devait être. Eh ben, non ! C’est comme ça. Je suis comme ça. Et puis voilà.
– Et qu’est-ce j’ai à voir, moi, dans cette métamorphose-là ?
– Je sais pas. Tout ce que je sais, c’est que c’est lié à vous. Et ça, j’en suis sûre. D’ailleurs…
– D’ailleurs ?
Elle n’a pas répondu. Ses yeux se sont perdus dans le lointain.
– D’ailleurs ?
– Non, rien. Plus tard je vous dirai. Tout-à-l’heure. À la maison.
– Clorinde…
– Oui ?
– Donne-moi ta main.
Elle m’a tendu la gauche.
– Non. L’autre… Celle qu’est sous la table.
Je l’ai portée à mes narines. Y ai posé les lèvres. En ai englouti un doigt.
– Tu as bon goût. Très.

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