mardi 17 juillet 2018

Alyssia, ma femme (18)


Alyssia voulait retourner au Petit Castel. Avec Benjamin. La même chambre.
– Parce que c’est là que tout a commencé, nous deux. Alors j’ai plein de souvenirs là-bas. J’adore ça repasser dessus. Non, et puis ce qu’il y a aussi : à la maison, c’est pas mal, oui, bien sûr. Je vais pas dire le contraire, mais ça vaut quand même pas quand t’as plein de monde autour. Que tu les regardes pendant que tu dînes les gens et que tu te dis qu’il y en a, dans le tas, qui vont être dans les chambres voisines, qui vont t’entendre baiser, que ça va les exciter que le diable. Et tu sais ce qu’il faudrait ? Qui serait mille fois mieux ? C’est savoir qui. Qui il y a à droite, qui il y a à gauche, qui il y a au-dessus. On y ferait tout spécialement attention à ceux-là. On les bichonnerait du regard pendant qu’ils mangent. Et comme ça, après, une fois qu’on serait en haut… Mais j’y pense ! C’est faisable. Tu pourrais partir en éclaireur, toi ! Tu finis tôt. Tu surveillerais les arrivées, les allées et venues, tout ça… Et tu nous dirais.

À quatre heures, j’étais là-bas. J’ai commencé par m’offrir une petite ronde dans les étages. À tout hasard. Bien m’en a pris. Au troisième, une porte, sur laquelle était inscrit « PRIVÉ », en grosses lettres rouges sur fond blanc, était entrebaillée. Ça parlait à l’intérieur. Des voix de femmes. Jeunes. Deux. Dont celle de la serveuse, la fille des patrons.
– Il est là, j’te dis ! Je viens de voir sa voiture…
– Qui ça ?
– Mais le cocu, tiens ! Le cocu de la 122.
– Tout seul ? Il y a pas les deux autres ?
– Sûrement qu’ils vont pas tarder.
Elles se sont chuchoté quelque chose.
– Non ! Tu vas pas faire ça !
– Je vais me gêner !
Et elles ont éclaté d’un rire interminable.

Je me suis discrètement éclipsé. Je suis redescendu. Et je me suis trouvé nez à nez avec une jeune femme rousse d’une trentaine d’années qui ne m’a pas prêté la moindre attention et qui s’est précipitamment engouffrée dans la chambre voisine. Celle de droite. Ça commençait bien…
Je me suis installé, avec ma tablette, à la fenêtre de la nôtre, une fesse sur le radiateur, et j’ai attentivement surveillé les allées et venues.
À cinq heures et demi est arrivé un couple de retraités qui est allé se perdre très loin dans les étages. Et puis, une vingtaine de minutes plus tard, deux autres. Coup sur coup. L’un, d’âge mûr, s’est installé dans une chambre de l’étage du dessus, un peu sur la droite. L’autre, d’une trentaine d’années, a élu domicile à l’autre bout du couloir.
À six heures, sont arrivés deux types. Dans les vingt-cinq ans. À qui on a donné la chambre voisine. Celle de gauche. Des amis ? Des frères ? Un couple ? Je n’ai pas tardé à être fixé.
– Elle te plaisait la petite brune, hein, là-bas, tout-à-l’heure.
– Oui, oh…
– Menteur ! T’as pas arrêté de la bouffer des yeux. Tout l’après-midi. Et de bander.
– Tu te l’es imaginé.
– Ben, voyons ! Je te connais, attends, depuis le temps. Et je suis sûr que rien que de parler d’elle, ça recommence à grimper. Fais voir ! Fais voir, j’te dis ! Tiens, bingo ! Et pas qu’un peu ! Je comprendrai jamais que des nanas puissent te mettre dans des états pareils. T’es vraiment rien qu’un gros cochon. Un putain de salaud de gros cochon. Mais j’aime ça. Et je vais en profiter.
Ils se sont tus. Il y a eu des halètements. Un bruit de succion. Des gémissements.
– T’as avalé… J’adore quand t’avales.
Des baisers. Des chuchotements. Encore des baisers.

Au restaurant, après, en bas, je les leur ai discrètement indiqués, du coin de l’œil.
– Ce sont eux.
Elle a souri.
– Ils vont remettre ça tout-àl’heure. On fera ce qu’il faut pour. Et la rouquine, elle est où ?
– À mon avis, là.
La table vide, juste à côté de la nôtre.
On l’a attendue pendant tout le repas.
– Mais qu’est-ce qu’elle fout ? Qu’on voie à quoi elle ressemble au moins.
Quand elle a enfin fait son apparition, on attaquait le dessert. Elle nous a, cette fois, gratifiés d’un large sourire. Un sourire qu’Alyssia et Benjamin lui ont rendu.
Ils se sont longuement attardés à table. Se sont pris la main, fait des chuchoteries à l’oreille, bécotés tant et plus. Et ils l’ont laissée remonter la première.

Dans l’ascenseur, Alyssia m’a donné ses consignes.
– Tu surveilles ? Tu écoutes ? Comment ça réagit. Ce qui se passe. Des deux côtés. Tu nous raconteras.
Dans la chambre, elle a fait mine d’être furieuse.
– Espèce de salaud ! Tu l’as fait exprès. Je suis sûre que tu l’as fait exprès.
Et Benjamin mine de tomber des nues.
– Hein ? Quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait exprès ?
– Joue bien les innocents ! Parce que qu’est-ce que c’est que ces façons de traîner des éternités à table alors que tu sais très bien que j’en peux plus tellement je crève d’envie que tu m’enchattes.
– Oh, mais si c’est que ça ! T’en veux ! Eh bien tu vas en avoir…
– J’espère bien. Et t’as intérêt à tenir la distance.
– Toi, tu me cherches, ce soir. Tu me cherches et tu vas me trouver.
Il l’a fait reculer, à petites poussées insistantes, du plat de la main, jusqu’au mur. Celui du côté des types. Il l’y a plaquée, immobilisée. Il a relevé la robe, écarté la culotte. Et constaté, d’un doigt inquisiteur.
– T’es trempée.
Il l’a pénétrée d’un coup. Et aussitôt bourrelée à grands coups de reins impérieux.
– Oh, Benjamin ! Benjamin !
Elle a amoureusement noué ses bras autour de lui.
– Mon Benjamin !
Ils réagissaient comment les types à côté ? J’avais beau tendre l’oreille. Impossible d’entendre quoi que ce soit. Les gémissements d’Alyssia, les claquements de ses fesses sur la cloison contre laquelle elles venaient méthodiquement battre, à chaque coup de boutoir, faisaient désespérément écran. Et de dehors ? Peut-être que de dehors… Oui, sûrement même. Je me suis discrètement approché de la porte. Que j’ai ouverte et derrière laquelle j’ai trouvé, penchée à l’équerre, l’œil rivé au trou de la serrure… la serveuse, la fille des patrons, le jean déboutonné, une main à l’intérieur. Elle m’a jeté un regard épouvanté et s’est enfuie. Du plus vite qu’elle a pu.
J’ai attendu qu’elle ait disparu au détour du couloir et je me suis, à mon tour, approché de la porte de nos voisins. J’y ai collé l’oreille. Il m’a semblé percevoir un coulis de mots murmurés très bas. Sans certitude absolue. Peut-être mon imagination me jouait-elle des tours. Et la rousse à droite ? Je les ai abandonnés et suis allé m’occuper d’elle. Elle gémissait. Une myriade de petits gémissements étouffés. Sans doute dans l’oreiller.

6 commentaires:

  1. Il est où, cet hôtel? Il y a tellement d'ambiance 😊

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  2. Chuuut. En MP. Sinon ça va être pire que les Champs-Elysées un soir de coupe du monde là-bas…

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  3. Il est pris pour ce qu'il est.

    J'ai vraiment du mal avec cette histoire. J'ai cru lors du dernier chapitre qu'il allait devenir un peu plus acteur de sa vie, mais finalement non, c'est juste un voyeur. Du plaisir de sa femme qui ne l'est plus vraiment.

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    1. C'est normal qu'il y ait des retours en arrière. On ne se défait pas, en un rien de temps, de fonctionnements dont on a l'habitude depuis des années. C'est peu à peu qu'il va acquérir une forme d'autonomie, vivre des choses, quelle qu'en soit la nature, en-dehors d'elle. Il faut lui laisser le temps. Quant à elle, contrairement aux apparences, elle contribue à sa prise de conscience. C'est en lui mettant le nez dans ce qu'il est, en l'obligeant à se regarder en face tel qu'il est qu'elle peut contribuer à le faire changer. Ce qui finira par se produire. il faut laisser le temps faire son œuvre…

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  4. Ah bah c'est sûr que maintenant ils vont être connus dans cet hôtel...

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