mardi 24 juillet 2018

Alyssia, ma femme (19)


Au petit déjeuner, c’était elle, la fille du patron, qui était de service sur la terrasse. Elle y faisait de rapides apparitions, débarrassait un plateau, passait vite fait un coup de torchon sur une table. En évitant soigneusement de trop s’approcher de nous. Et sans jamais jeter le moindre regard dans notre direction. De toute évidence, elle n’en menait pas large.
Alyssia a fini par l’appeler.
– S’il vous plaît…
Elle s’est approchée. À contrecœur.
– Vous vous appelez comment ?
– Eugénie…
– Et vous avez quel âge ?
– Vingt-deux.
– Alors comme ça, Eugénie, on espionne les clients… Une grande fille comme toi ! Tu sais que c’est pas bien du tout ?
Elle est devenue écarlate.
– Je vous jure…
Alyssia a éclaté de rire.
– Ben, voyons ! N’empêche… Qu’est-ce que ça a dû être frustrant pour toi ! Être interrompue, comme ça, en pleine action.
Elle se dandinait d’un pied sur l’autre, se grattait nerveusement la joue.
– Tu t’es finie dans ta chambre, j’parie ! Non ?
Elle a désespérément cherché autour d’elle un hypothétique secours.
– Faut que j’y aille ! Il y a du monde.
– T’as bien deux minutes. À ton avis, il va penser quoi de tout ça, ton père ?
Elle s’est affolée.
– Vous allez pas lui dire !
– Peut-être que non. Et puis peut-être que si.
– Le dites pas ! Je vous en supplie, le dites pas !
– À une condition…
– Laquelle ?
– Je te le ferai savoir, le moment venu.
On l’a appelée de l’intérieur.
– Voilà ! J’arrive… Excusez-moi !
Elle s’est éloignée. A disparu.
On a voulu savoir, Benjamin et moi.
– Et c’est quoi, cette condition ?
– Vous verrez bien. Ce sera la surprise.

On était sur le parking, en train d’empiler nos sacs de voyage dans le coffre de nos voitures quand on a aperçu la jeune femme rousse qui venait droit sur nous.
– Tiens, on l’avait oubliée celle-là !
Elle a abordé Alyssia, tout sourire.
– Bonjour… Je vais sans doute vous paraître d’un invraisemblable sans gêne, mais est-ce qu’il ne vous serait pas possible de me déposer à la gare ? Ça fait un quart d’heure que j’essaie d’appeler un taxi, mais c’est la croix et la bannière.
– Si ! Bien sûr ! Tenez, vous n’avez qu’à monter avec Alex. Vous lui tiendrez compagnie.

Elle s’est installée, a bouclé sa ceinture.
– Merci ! C’est très gentil à vous.
Je me suis engagé sur la petite portion menant à la nationale.
– Vous allez où, au juste ?
– Porte de Versailles.
– Je vous y laisserai. Ça me fait pas un grand détour.
– Je ne voudrais pas abuser.
Mais non ! Elle abusait pas, non.
On a roulé une bonne dizaine de kilomètres sans échanger le moindre mot. Et puis elle a fini par se lancer.
– Excusez mon indiscrétion, mais…
– Mais ?
– Mais j’ai cru comprendre que cette dame était votre femme.
– Oui. Et alors ?
– Et alors je me disais… Je me demandais… Mais enfin ça ne me regarde pas…
– Vous vous demandiez pourquoi ce n’est pas avec moi qu’elle est repartie ? Parce qu’elle est arrivée avec son amant. Et que c’est avec lui qu’elle avait envie de repartir. Ça vous va comme explication ?
– Je suis confuse. Je ne voudrais pas me mêler…
– Oui, oh, de toute façon… Vous occupiez la chambre à côté de la nôtre, non ?
Elle m’a jeté un regard en coin.
– Si !
– Et comme les murs sont en carton-pâte dans cet hôtel…
– Ah, ça !
– Vous étiez aux premières loges.
– Quand bien même je n’aurais pas voulu entendre…
– On vous a empêchée de dormir. J’en suis désolé.
Elle a haussé les épaules.
– Pas grave.
Et aussitôt ajouté.
– Moi aussi, je suis mariée.
– Ah !
Elle a suivi des yeux un transporteur qui déchargeait des colis sur le trottoir.
– Et j’ai aussi un amant.
À mon tour de lui jeter un regard en coin. Où elle voulait en venir, là ?
Elle a soupiré.
– Si on pouvait s’entendre, tous les trois, aussi bien que vous.
– Ça viendra peut-être…
– Sûrement pas, non ! Parce qu’il faudrait d’abord que mon mari soit au courant que j’ai quelqu’un d’autre. Et il vaudrait mieux pas. Ce jour-là, il m’arrache les yeux. N’empêche, comment ça fait rêver, votre truc…
Je me suis garé le long du trottoir.
– Vous êtes arrivée.
– Déjà !
Elle a ouvert la portière.
– Bon, ben merci. Merci beaucoup. Et sans doute à une prochaine fois. Là-bas…

Alyssia en était convaincue.
– Ah, ça, c’est sûr qu’on l’y retrouvera là-bas. À se rincer les oreilles dans la chambre d’à côté. Cela étant, tu y as cru ?
– À quoi ?
– Le mari, l’amant, tout ça…
– Je sais pas. Ça avait l’air vrai…
– Un mari… Un amant… Et elle se retrouve toute seule à l’hôtel ? Mouais…


4 commentaires:

  1. Il aurait pu se passer pleins de chose dans cette voiture et non... il est toujours sur la réserve.

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    1. Je ne suis pas sûr que cette femme de la voiture aurait été la personne appropriée pour qu'il change enfin de comportement.

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  2. Ca devient un Vaudeville. Et un personnage en plus, un ! lol. Excellent.

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    1. Et il y en aura d'autres. Notre héros est "condamné" à multiplier les expériences de toute nature avant de trouver enfin sa voie.

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