mardi 10 juillet 2018

Alyssia, ma femme (17)


Je me suis empressé, aussitôt rentré, de donner rendez-vous à Séverine, la femme de Benjamin.
– Vous allez avoir la surprise, un de ces quatre matins, de me voir arriver en compagnie de votre mari.
– Ah, parce que c’est vous ! Il m’a effectivement parlé d’un pote avec qui il faisait plein d’activités. Qu’il tenait absolument à me présenter. Et c’est vous ! Il manque vraiment pas d’air.
– C’est moi, oui !
– Eh ben, si je m’attendais à ça ! Quoique… plus ça va et plus je me dis que rien ne l’arrête, qu’il n’a aucun respect de quoi que ce soit. La preuve ! Non, mais faut quand même être particulièrement retors, avouez, pour aller copiner comme ça avec le mari de sa maîtresse.
– Il doit avoir une petite idée derrière la tête.
– Le connaissant, ça fait pas l’ombre d’un doute. Toute la question est de savoir laquelle. Une chose est sûre, en tout cas, c’est qu’il doit allègrement se délecter, quand il est avec vous, de l’idée qu’il se tape votre femme derrière votre dos. C’est comme, franchement, me faire vous rencontrer, c’est un peu, d’une certaine façon, m’exhiber sa maîtresse sous le nez à mon insu, non ? Vous trouvez pas ? Ah, il doit bien rigoler en son for intérieur de nous manœuvrer tous les deux comme il nous manœuvre.
– Sauf qu’on n’est pas dupes. Alors qui c’est qui tire les ficelles, en réalité, au bout du compte ?
– Lui quand même. Parce qu’il arrive à ses fins. Et qu’il nous fait cocus. L’un comme l’autre.
– Oui, alors, si je vous comprends bien, vous voudriez qu’on siffle la fin de la récréation ?
– Je sais pas. J’en sais rien. Ce qu’il y a, par contre, c’est qu’avec le recul, je me demande si on n’a pas eu tort finalement. Si on n’aurait pas dû mettre les pieds dans le plat dès le début. Empêcher tout ça de prendre de l’ampleur.
– On les aurait braqués. Et sans doute définitivement perdus.
– On les a perdus de toute façon. Parce que je sais pas vous, mais moi, je suis devenue complètement transparente à ses yeux. Alors il y a des moments, il me vient une de ces furieuses envies de ruer dans les brancards. De déclencher quelque chose. N’importe quoi. Pour qu’il me voie. Pour que j’existe. Et puis, il y en a d’autres où je m’en fiche complètement. Où je me dis que c’est mort. Que je n’ai plus vraiment de sentiments pour lui. Que rien, quoi que je fasse, ne pourra plus jamais être comme avant. Que le mieux que j’aie à faire, c’est d’organiser ma petite vie à côté de la sienne. Sans lui. Que je sorte. Que je m’éclate. Et que, moi aussi, je me prenne un amant plutôt que de rester terrée dans mon coin.

Alyssia s’est esclaffée…
– Si c’est pas un appel du pied, ça ! Et alors, tu vas faire quoi ? Tu vas donner suite ?
– Je crois pas, non.
– Pourquoi ? Elle te plaît pas ?
– C’est pas qu’elle me plaît pas, c’est que la situation est déjà assez compliquée comme ça, non, tu trouves pas ?
Elle m’a ébouriffé les cheveux.
– Ah, tu changeras pas, toi, hein ! Tu trouveras toujours un prétexte pour te défiler devant une nana qui te fait des avances. Bon, mais on va pas revenir là-dessus. Je t’ai déjà dit cent mille fois ce que j’en pensais. En attendant, si je comprends bien, elle a pas l’intention de mettre les pieds dans le plat.
– Pas pour le moment en tout cas.
– Ben oui, elle est pas idiote. Elle le sait bien, va, tout au fond d’elle-même qu’elle a pas intérêt à lui poser un ultimatum. Et que s’il était vraiment obligé de choisir entre elle et moi… Bon, mais tu crois que tu vas t’en sortir ?
– Comment ça ?
– Entre lui qu’est pas au courant que tu complotes avec sa femme derrière son dos et elle qui sait pas que tu cautionnes allègrement ma relation avec son mari, ça va pas forcément être simple. Tu risques de te faire à tout moment des nœuds. D’autant qu’il y a aussi moi. Qui suis censée pas savoir, du moins pour le moment, que tu vas aller jouer les pompiers de service auprès d’elle.
– Je naviguerai à vue.
– Au risque de te planter…
– Mais le moyen de faire autrement ?

Benjamin a voulu qu’on se voie. Tous les deux. Rien que nous deux.
– Qu’on se concerte… Qu’on s’invente des souvenirs en commun… Qu’on se fabrique des anecdotes… Parce que je connais Séverine. Elle aura tôt fait de flairer qu’il y a anguille sous roche sinon.
On travaillait à vingt minutes l’un de l’autre. On s’est déniché un petit restaurant à mi-chemin où on s’est retrouvés le lendemain, sur le coup de midi.
Bon, mais alors elle était comment sa femme finalement ?
Il m’a sorti une photo. Qui datait d’au moins dix ans. On l’y voyait souriante, assise sur un rocher, la robe relevée haut sur les cuisses.
– Pas mal…
– Oh, pour ça, oui ! C’est pas moi qui te dirai le contraire. Seulement…
– Seulement ?
Il a levé les yeux au ciel.
– Elle est comme l’immense majorité des femmes. Coincée du cul. Et le pire, c’est qu’elle est convaincue du contraire. Sous prétexte qu’elle condescend à me tailler une pipe, du bout des lèvres, tous les tournants de lune ou qu’elle se laisse mettre un doigt dans le cul, de temps à autre, quand on baise, elle s’imagine être sexuellement libérée. Au top du top dans ce domaine. Le reste ? Ce sont, à ses yeux, pratiques de pervers dont elle ne veut pas entendre parler. Dans ces conditions, comment veux-tu que j’aille pas voir ailleurs ? N’importe qui, à ma place… Ce qui ne l’empêche pas d’avoir plein de qualités. Et puis on s’entend plutôt bien. On a, dans quantité de domaines, une même façon de voir les choses. Sans compter tout ce qu’on a vécu ensemble. De bon ou de moins bon. Tout ça nous a, au fil du temps, sanglés l’un à l’autre. Tant et si bien que je ne pourrais pas vivre sans elle. Ce n’est seulement pas envisageable. Mais, d’un autre côté, sexuellement, faut que je m’éclate. C’est impératif. Et, à cet égard, ta petite femme est un don du ciel. Une véritable bénédiction. Le cul, elle adore. Elle en veut. Elle en redemande. Et pas n’importe quoi ! De l’élaboré. Du qui sort de l’ordinaire. Elle est ouverte à tout. Ah, ça, avec elle, je suis sûr de pas m’ennuyer. Les idées que moi j’ai pas, c’est elle qui va les avoir. C’est pour ça, j’ai du mal à te comprendre, j’avoue ! Réussir à te faire claquer la porte au nez par une femme aussi demandeuse et, qui plus est, ta propre femme, faut quand même le faire. T’as dû y mettre sacrément du tien, non ? Il s’est passé quoi au juste ?
– Rien. Absolument rien. Ce qu’elle me reproche en fait, c’est de pas avoir su la faire être ce qu’elle ne savait pas qu’elle était.
– Oui. Oui. Mais il y a sûrement pas que ça.

Il m’a fait faire la connaissance – si on peut dire – de Séverine le soir même.
– Vite fait, pour la première fois. Que ça fasse pas trop insistant. On boit un coup et puis tu te casses.
Il nous a présentés.
– Alex… Le copain dont je t’ai parlé. On se connaît depuis… Hou là là… Des éternités. On s’était complètement perdus de vue. Et puis on s’est retrouvés. Par hasard. Et là, maintenant, on se quitte plus. Ah, non alors ! Des tas de trucs on va faire ensemble.
– Enchantée.
– Moi aussi.
On a parfaitement joué le jeu, elle et moi. On a été, tout du long, de parfaits inconnus l’un pour l’autre.

3 commentaires:

  1. Ça se précise.
    "tu risques de te faire à tout moment des nœuds" . Mais vous les trouvez où, vos expressions ? Et puis parfois, on dirait du Audiard, sérieux. lol.

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  2. Oui. On va se déporter un peu, maintenant, vers d'autres personnages qui feront avancer l'action de façon un peu différente.

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