Samedi 23 janvier 2084
J’ai
invité Hédelice à venir passer le week-end à la maison. Les
filles tenaient absolument à faire sa connaissance…
– Depuis
le temps que tu nous parles d’elle ! Et Hédelice par ci… Et
Hédelice par là…
Il a
évidemment été très vite question du Journal de Roxane. De
l’épidémie de 2034. De ce que nos grands-mères, à elle et à
moi, avaient alors traversé ensemble comme épreuves. De ma thèse
qui, à vrai dire, n’avance pas beaucoup. Pas aussi vite, en tout
cas, que je le souhaiterais. Du « pèlerinage » que nous
comptions aller faire toutes les deux à Collioure…
– À
Collioure ? Mais il y a belle lurette qu’elle a été
engloutie sous les eaux Collioure…
Hédelice
s’est décomposée…
– Engloutie ?
Collioure ?
– Ben,
bien sûr… Comme toute la côte…
Elle
n’avait pas réalisé. Elle n’avait pas voulu savoir. Pour elle,
là-bas, tout était resté comme avant… Comme elle aurait voulu
que ce soit… « Ça » n’avait pas eu lieu… Et moi,
ben je ne m’étais pas vraiment posé la question… Elle
paraissait si sûre d’elle…
– Oh,
mais je vous y emmènerai, moi…
Raliette.
Avec sa machine à visiter le passé. Dont elle a voulu, dans la
foulée, nous faire la démonstration.
– La
maison a plus d’un siècle… Des tas de gens y ont vécu… C’est
l’endroit idéal…
Ça
a eu du mal à se caler. Il y a eu des visages qui se sont tout
aussitôt figés. Comme étonnés de se trouver là. Ça a encore
hésité. Bégayé. Et puis il y a eu des femmes et des hommes en
train de manger, assis autour d’une grande table…
– Mais
c’est ici ! C’est la pièce où on est…
Raliette
a ri…
– Évidemment
que c’est ici… Où veux-tu que ce soit ?
On
reconnaissait. À cause de dehors à travers la porte-fenêtre :
la vasque avec la grande statue de Vénus. Qui était déjà là. Et
le petit muret à droite. Et, en même temps, on reconnaissait pas…
Il y avait trop de différences : des tas de choses en plus. Une
haie Des arbres. Des massifs de fleurs. Et des tas de choses en
moins. La table Le jeu de Wollmo. Le remblai à gauche. Pareil à
l’intérieur : ça avait quelque chose d’à la fois tout à
fait familier et de résolument étranger…
– C’était
quand ?
– Je
me suis positionnée sur mai 33… Mais je peux avancer si tu veux…
Ou reculer…
– Non…
Attends ! Plus tard… Qu’on écoute ce qu’ils disent…
Ils
fêtaient quelque chose… Un diplôme de Mathématiques… Que
venait d’avoir le plus jeune… Qui allait lui permettre
d’enseigner…
– Le
pauvre ! En 33 ça lui aura servi à rien… Parce que l’année
suivante…
– Mais
c’est qui tous ces gens ?
C’est
Hédelice qui m’a répondu…
– Les
frères de Roxane, Amerina… Et ses parents… Forcément…
– C’est
trop fou, ça… C’est complètement dingue… Mais elle est où,
elle ?
Et
ça a été comme si elle avait entendu… La porte s’est ouverte…
Elle a jeté son sac sur la petite table basse…
– Désolée !
Ça a duré plus longtemps que prévu…
– C’est
elle ! Roxane… C’est toi !
Et
j’ai éclaté en sanglots…
Raliette
a proposé d’arrêter…
– Non !
Laisse ! S’il te plaît ! Laisse-la-moi !
Célienne
a voulu venir dormir avec moi…
– T’es
tellement triste !
– Mais
je suis pas triste… Au contraire… J’ai jamais été aussi
heureuse…
– Ça
fait rien… Je viens quand même…
Peut-être
qu’Hédelice pouvait dormir dans son lit alors ? Plutôt que
sur le canapé…
– Elle ?
Oui, ben alors là sûrement pas ! Je peux pas la voir cette
fille… Elle est fausse… Elle te fera du mal… Je suis sûre
qu’elle te fera du mal…
Elle
a cherché mes lèvres…
– Laisse-moi
faire ! Laisse-toi faire ! J’ai envie de ton plaisir…
Tellement…
Un
plaisir qu’elle est savamment allée chercher… Qu’elle m’a
fait proclamer à gorge déployée…