Samedi 1er janvier 2084
Son
journal. Le journal de ma grand-mère Roxane. Il est posé là,
devant moi, sur la table même où elle a commencé à le rédiger il
y aura demain, jour pour jour, tout juste cinquante ans. Qu’il soit
aujourd’hui entre mes mains relève du miracle. J’avais en effet
fait insérer, en mai dernier, une petite annonce dans une bonne
douzaines de revues : « Étudiante en Histoire recherche,
pour thèse de doctorat, tous documents (lettres, journaux intimes,
mémoires, etc.) datant des années trente. » Et… Et il m’est
parvenu par la poste, quelques jours plus tard, dans une grande
enveloppe marron. Sans nom d’expéditeur. Sans le moindre mot
d’accompagnement. J’ai d’abord été sceptique : c’était
trop beau pour être vrai. Mais si ! Si ! J’ai longuement
vérifié. C’était bien l’écriture de Roxane. Quant aux
événements qui sont relatés dans ce gros cahier aux pages jaunies,
à l’encre délavée, ils correspondent trop bien à tout ce que
Zaza m’a raconté, de son vivant, pour que puisse subsister le
moindre doute.
Ce
journal, je le lis. Je le relis encore et encore. Je ne m’en lasse
pas. Au point d’en connaître bon nombre de passages par cœur.
C’est une véritable fascination que j’éprouve à son égard. Au
point de ressentir l’impérieux besoin de lui rendre hommage.
Comment ? Ça va sans doute paraître prétentieux, voire
puéril, mais ça s’est imposé à moi comme une évidence :
il faut que je prenne la relève, que je marche dans ses pas… Je
vais donc à mon tour tenir un Journal… Tout au long de l’année
qui débute aujourd’hui…
Dimanche 2 janvier 2084
Si,
par je ne sais quel prodige, je me trouvais soudain face à elle
revenue du passé, quelle est la toute première chose qu’elle
aurait envie de savoir ? Sans doute si ce virus meurtrier qui a
causé tant de ravages, provoqué la mort de centaines de millions
d’individus de sexe masculin, bouleversé la société de fond en
comble, a enfin été mis hors d’état de nuire. Il l’a été,
oui. Il y a… un peu moins de dix ans. Quarante ans !Il aura
fallu quarante ans pour en venir à bout. Sans que pour autant la
situation des quelques dizaines de milliers d’hommes conservés à
l’abri dans des centres sécurisés en ait été véritablement
modifiée. Dans un premier temps parce qu’on a fait jouer le
principe de précaution : en laboratoire les résultats étaient
effectivement probants, mais subsistait un doute. Qu’en serait-il
dans la réalité ? Pas question de les envoyer au massacre. Les
recherches se sont poursuivies jusqu’à ce qu’il soit absolument
certain que tout danger était définitivement écarté.
Deux écoles se sont alors affrontées. Pour l’une il allait de soi qu’il fallait les remettre dans le circuit Parce que c’était quoi leur vie ? Jusqu’à trente ans fournir la semence indispensable à la reproduction de l’espèce. Bon. Oui. Mais après ? Ils sombraient dans une oisiveté stérile et souvent désespérée. Sans but. Sans perspectives d’avenir. Alors que, dans certains secteurs, la main-d’œuvre faisait cruellement défaut. Il était évident, dans leur intérêt comme dans celui de la société qui les nourrissait à ne rien faire, qu’il était urgent de les réadapter au plus tôt à la vie normale.
Dans l’intérêt de la société ? Rien n’est moins sûr, rétorquait-on en face. Parce qu’un équilibre s’était instauré qui risquait d’être mis à mal. Ne serait-ce que dans le domaine de la natalité. Qui était parfaitement maîtrisée. On savait très précisément combien d’inséminations pratiquer chaque année. Dans quelles conditions. Quel matériel génétique mettre en contact avec tel autre matériel génétique. Quelle proportion exacte de mâles il fallait « produire » pour assurer l’indispensable diversité chromosomique. Et on allait lâcher les hommes dans la nature ? Plus rien ne serait gérable. Il allait se faire n’importe quoi. Tout et le contraire de tout. Sans compter que nous, les femmes, on s’était habituées à la sécurité… On pouvait se promener au cœur de la nuit en toute tranquillité. Sans la moindre appréhension. Il allait maintenant falloir apprendre à vivre avec la peur au ventre. Partout. Tout le temps. Le danger pourrait surgir à tout moment. De n’importe où. À cela s’ajoutait qu’il était dans la nature du mâle de vouloir dominer. De rechercher systématiquement la compétition. De vouloir imposer son ordre à lui. Était-ce vraiment cela qu’elles voulaient ?
Deux écoles se sont alors affrontées. Pour l’une il allait de soi qu’il fallait les remettre dans le circuit Parce que c’était quoi leur vie ? Jusqu’à trente ans fournir la semence indispensable à la reproduction de l’espèce. Bon. Oui. Mais après ? Ils sombraient dans une oisiveté stérile et souvent désespérée. Sans but. Sans perspectives d’avenir. Alors que, dans certains secteurs, la main-d’œuvre faisait cruellement défaut. Il était évident, dans leur intérêt comme dans celui de la société qui les nourrissait à ne rien faire, qu’il était urgent de les réadapter au plus tôt à la vie normale.
Dans l’intérêt de la société ? Rien n’est moins sûr, rétorquait-on en face. Parce qu’un équilibre s’était instauré qui risquait d’être mis à mal. Ne serait-ce que dans le domaine de la natalité. Qui était parfaitement maîtrisée. On savait très précisément combien d’inséminations pratiquer chaque année. Dans quelles conditions. Quel matériel génétique mettre en contact avec tel autre matériel génétique. Quelle proportion exacte de mâles il fallait « produire » pour assurer l’indispensable diversité chromosomique. Et on allait lâcher les hommes dans la nature ? Plus rien ne serait gérable. Il allait se faire n’importe quoi. Tout et le contraire de tout. Sans compter que nous, les femmes, on s’était habituées à la sécurité… On pouvait se promener au cœur de la nuit en toute tranquillité. Sans la moindre appréhension. Il allait maintenant falloir apprendre à vivre avec la peur au ventre. Partout. Tout le temps. Le danger pourrait surgir à tout moment. De n’importe où. À cela s’ajoutait qu’il était dans la nature du mâle de vouloir dominer. De rechercher systématiquement la compétition. De vouloir imposer son ordre à lui. Était-ce vraiment cela qu’elles voulaient ?
Il y a eu d’interminables débats. Qui ont duré des mois. Des années. Et qui n’ont débouché sur aucune décision concrète. Les choses sont donc restées en l’état. Et les hommes dans les centres. Peut-être plus pour très longtemps : il paraîtrait, sous toutes réserves, que nos dirigeantes sont sur le point de trouver une solution.
Allez je démarre. N'allez pas trop vite pour le reste que je ne sois pas trop à la traine moi. (on dirait du Huxley)
RépondreSupprimerLe Journal d'Amerina fait suite au Journal de Roxane (2034). Je l'ai malheureusement laissé en plan, mais je ne désespère pas de le reprendre un jour ou l'autre.
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